The Demon par Jack Kirby
Première publication le 24 novembre 2014. Mise à jour le 29 août 2015
AUTEUR : PRÉSENCE
VO : DC
VF : ?
Ce tome regroupe les 16 tomes de la série originale, parus d’août 1972 à janvier 1974, écrits et dessinés par Jack Kirby, encrés par Mike Royer.
La légendaire cité de Camelot est assaillie et la tour de Merlin est la proie des flammes. Margane le Fey tient sa revanche. Merlin accomplit un dernier acte avant de disparaître : associer Etrigan le démon à Jason Blood un être humain.
De nos jours (enfin plus dans les années 1970 au vu des coiffures et des vêtements), Jason Blood est un démonologiste reconnu qui a pignon sur rue et qui est installé à Gotham.
Dans le premier épisode, il reçoit la visite de Warly (l’aide de Morgane) dans son appartement. Après une confrontation physique, il reçoit l’aide d’un être de pierre muet. Ensemble ils se rendent dans un endroit qui évoque un village fermier dans une Europe de l’Est de pacotille. Au cours de ces 16 épisodes, le lecteur fait connaissance avec les rares amis de Jason Blood : Harry Matthews, Randu Singh et Glenda Mark.
Le Demon se bat contre Morgane le Fey (épisodes 1 & 2), contre une secte capable de transformer les homos sapiens en hommes de Neandertal (épisode 3), contre une sorte de sorcière vaudou capable de faire surgir des monstres (épisode 4 & 5, avec l’aide de Merlin), contre un homme-bête victime d’une malédiction (épisode 6), contre Klarion un enfant sorcier pas commode (épisodes 7, 14 et 15), contre une variation du le fantôme de l’opéra (épisodes 8 à 10), contre un dérivé du docteur Frankenstein (épisode 11 à 13) et une dernière fois contre Morgane le Fey (épisode 16).
Dans la production de Jack Kirby, cette série présente plusieurs particularités. Tout d’abord elle est entièrement indépendante ; elle ne fait intervenir aucun autre personnage de l’univers partagé DC. Ensuite, Kirby a choisi un personnage principal issu des enfers : le démon Etrigan.
Les éditeurs de DC ayant décidé de mettre un terme aux séries regroupées sous le nom de Fourth World, ils demandèrent à Kirby de proposer de nouvelles idées. Pour ce titre, Kirby bénéficie de toute la latitude qu’il souhaite : il est même responsable éditorial de sa propre série.
En terme de narration, Jack Kirby réduit ses personnages à leur plus simple expression. Harry Matthews est un monsieur peu cultivé qui ne comprend pas les termes compliqués et qui fume des cigares (vous n’en apprendrez pas plus sur lui au long des 16 épisodes). Glenda Mark est une jolie jeune femme aux nerfs solides, qui ne semble pas travailler et qui en pince pour Jason Blood de manière plus amicale qu’amoureuse.
Randu Singh apporte une touche d’exotisme du fait de son origine indienne, et de mystère du fait de ses vagues pouvoirs extra-sensoriels. Même Jason Blood n’affiche pas une personnalité très affirmée. Etrigan provient des enfers, mais il a un sens moral irréprochable et c’est un pourfendeur de monstres en tous genres.
La logique des récits est parfois incroyablement gauche, avec Jason Blood qui se transforme en Etrigan juste à 5 pages de la fin pour le combat décisif. Le deus ex machina de la pierre philosophale prête également à sourire.
Donc l’intérêt de ces histoires se trouve ailleurs : les monstres improbables et incroyables qu’affronte Etrigan et le parfum de légende qui se dégage de chacune des histoires. Kirby a été piocher dans sa carrière de créateur de monstres en pagaille pour engendrer une horreur après l’autre, avec certaines vraiment magnifiques. J’ai beaucoup apprécié le monstre qui donne son pouvoir à la sorcière vaudou, Klarion et son air gothique, la majesté du fantôme des égouts, l’idole antique de la secte, etc.
Et ces monstres ne se résument pas à un concept simple, ils disposent chacun de graphismes incroyables. En fait j’ai voulu découvrir ces épisodes pour me replonger dans les graphismes sans concession de Kirby. Si vous voulez découvrir en quoi Jack Kirby était un illustrateur sans égal qui a imprimé une marque indélébile sur l’imagerie des comics, ce tome est fait pour vous.
Il est visible qu’il a consacré beaucoup de temps à peaufiner ces histoires, en particulier les deux premiers tiers de la série. À elle seule, la couverture donne une idée de l’incroyable énergie contenue dans chaque dessin. Bien sûr il est facile de trouver ridicule les expressions exagérées des personnages, les émotions exacerbées et les postures théâtrales. Mais dès la première page, la force et la puissance de conviction s’empare du lecteur.
Dès la première page (une pleine page), les célèbres points d’énergie (Kirby crackles) encadrent Merlin à sa fenêtre. Incroyable ! le lecteur distingue la chaleur des flammes, leur nature surnaturelle du fait de leur forme et de leur énergie, la solidité des pierres de la façade, ainsi que les décorations qui constituent autant de charmes magiques de protection.
Les pages 2 & 3 ne forment qu’une seule illustration (double page) barbare, brutale et magique : une troupe de guerriers en armure donne l’assaut aux remparts, le feu ravage la citadelle, les armures sont toutes différentes, une boule de feu traverse le ciel, l’un des guerriers porte un casque qui évoque un modèle utilisé par les footballeurs américains. C’est ahurissant tout ce qu’il a réussi à mettre dans cette page.
Morgane le Fey est impériale, étrangère et barbare, fantastique. La première apparition de Warly en vieillard irascible dont le visage est parcheminé convainc le lecteur de sa laideur intérieure et de sa dangerosité.
Chaque monstre est magnifique : l’interprétation démesurée du monstre de Frankenstein est convaincante, Klarion redéfinit à lui seul el terme gothique grâce à a tenue de puritain, la petite créature toute blanche et pelucheuse est aussi mignonne que dégénérée. Jack Kirby s’est surpassé pour la double page de l’épisode 12 où Etrigan découvre toutes les créatures composées dans un laboratoire de sorcellerie.
L’encrage du Mike Royer est épais comme il faut, formidable. Cette édition comprend quelques pages crayonnées qui permettent de comprendre le travail de l’encreur et le respect avec lequel il a transcrit les crayonnés.
Et les textures ! Quand Kirby représente une construction en pierre, c’est de la pierre de taille massive. Quand il décrit une vue aérienne de Gotham, il arrange les ombres des immeubles pour que cet arrière plan devienne une composition abstraite recelant une intention mystérieuse à la lisière de la compréhension.
Les coulisses du théâtre avec leurs panneaux en bois évoquent l’ancienneté des lieux, l’amour du travail manuel des artisans qui ont fabriqué les décors, etc. Non, je ne suis pas en plein délire, je me régale de cette vision d’artiste du monde qui nous entoure. Kirby porte un regard personnel sur la réalité, dont ses illustrations portent la marque.
Si vous ne connaissez pas Jack Kirby et vous vous demandez pourquoi les anciens le vénèrent, ce tome recèle des trésors graphiques inouïs. Si vous connaissez déjà le style de Jack Kirby, il apparaît ici dans sa forme la plus mature et la plus pure.
je trouve les dessins absolument superbes notamment celui du démon utilisé pour la couverture. Je suis très admiratif de ta manière de décrire les dessins. Je passe par ce que c’est un condensé de tout ce qui me fait fuir en bande dessiné mais ai beaucoup apprécié ce cours magistral sur Kirby !
J’ai été assez surpris du degré de plaisir que j’ai pris à lire ces épisodes. Le portrait de Farley Fairfax m’impressionne beaucoup, et c’est un exemple parmi tant d’autres de Kirby s’émancipant de l’idée de beau pour mieux transcrire l’état d’esprit du personnage. Je me souviens que les histoires de magie ne t’intéressent pas.
C’est un volume absolument magnifique, qui dégage une force brute, une incroyable intensité dans les expression et dans la force des personnage.
Du pur concentré de Jack Kirby donnant ici la pleine mesure de son talent. Un beau cadeau fait à ses fans !
J’adore.
Je manque un peu d’objectivité mais c’est vrai que j’ai aimé ce volume, il trône en bonne palce dans ma comics-thèque.
@Nicolas – De la même époque, j’ai tout autant apprécié le premier tome de Kamandi (un peu moins le deuxième), OMAC, et même The Losers. Récemment j’ai été piocher dans sa deuxième époque Marvel, avec Devil DInosaur qui m’a semblé un peu en dessous. Je croise les doigts pour Marvel réussisse un jour à rééditer l’adaptation de « 2001 » par Kirby.
J’ai aimé Kamandi et OMAC, mais je n’ai pas lu Losdrs, il en vaut le coup d’oeil ?
2001 de Kirby doit valoir son pesant de cacahudètes !
Tout pareil que Bruce (« Je passe par ce que c’est un condensé de tout ce qui me fait fuir en bande dessiné mais ai beaucoup apprécié ce cours magistral sur Kirby ! »), mais pour tout un tas de raison différentes !!!
Les comics de Jack Kirby incarnent pour moi toute la naïveté infantile des comics old-school ampoulés par le comics-code. Il y a quelque chose de trop régressif pour moi dans cette imagerie et ce style narratif.
Etrangement, je n’ai pas du tout la même sensibilité avec les vieux films d’horreur, que j’adore au plus haut point, alors qu’ils sont tout aussi naïfs. Mais par contre ils étaient adultes dans le traitement, et donc ils ne souffraient pas de la dimension infantile des comics old-school.
En parlant de vieux films d’horreur, je constate que DC Comics aimait recycler le bestiaire du cinéma de monstre des années 30 et 40 en ce début des années 70. Car c’est exactement pareil dans les premiers épisodes de « Swamp Thing » !
Pour ce qui est de l’article, rien à redire ! Présence décrit comme personne les qualités graphiques des créateurs de comics. Entant que professeur d’arts plastiques, je lui tire mon chapeau !
Dans la double page de l’affrontement titanesque qui illustre ton article passioné, Kirby envoie du bois. Comme dans les Kamandi cités les commentaires, il excelle à utiliser les grands espaces donnant à l’oeil matière à la contemplation.
Tu mets avec talent l’accent sur son art de la texture, peu de dessinateurs arrivent à rendre vivante la matière comme Kirby. Et, en quête de démonstration de ce don pour le dessin organique, j’ai découvert que Kirby avait donné vie aux statues de l’île de Pâques, quel mec génial…
http://www.buzzcomics.net/showthread.php?t=19630
Bravo Présence pour cette appréciation de Jack « King » Kirby, dessinateur hors normes et fondamental ! Etrigan ne s’exprime-t-il pas en vers ? Était-ce Kirby qui les rédigeait ?
C’est plus compliqué que ça. Dans sa toute première apparition, Etrigan parle en rimes, peut-être rédigées par Kirby lui-même ou aidé par Mark Evanier (un de ses assistants). Mais dès les séquences suivantes, ses phrases ne riment plus. C’est finalement Alan Moore et Len Wein qui systématiseront le parler en rimes. Il existe un article très détaillé sur CBR sur le sujet.
http://goodcomics.comicbookresources.com/2012/05/19/the-abandoned-an%E2%80%99-forsaked-does-the-demon-rhyme-all-of-the-time/
Bonsoir tous,
j’essaie de rattraper mon retard… Et donc : Si vous voulez découvrir en quoi Jack Kirby était un illustrateur sans égal qui a imprimé une marque indélébile sur l’imagerie des comics, ce tome est fait pour vous.
Ce doit être mon cas. J’ai des fulgurances du travail de Kirby qui datent d’il y a longtemps, mais elles m’ont marqué (sans doute des Fantastic Four), et tes scans en sont proches. J’aime aussi l’idée de mélanger de vieilles histoires fantastiques à du comic, à utiliser le gothique. Kirby semble aimer l’épaisseur. Je ne connaissais pas du tout, merci Présence pour cette chro encore une fois érudite et précise, sans parler de l’analyse.