5bis : Gainsbourg Intime

Gainsbourg Intime : Interview de Aude Turpault et Anne C.

Une interview au dessus du jardin signée BRUCE LIT

1ère publication le 04 /10/ 2020- MAJ le le 03/03/23 avec en ajout des illustrations délicates de l’artiste Frédérique Roger dont vous pouvez apprécier le travail sur son Instagram.

Gainsbourg Channel n°5
©Autour du livre

5BIS est le récit autobiographique de Aude Turpault sur son amitié avec Serge Gainsbourg, initié sous les encouragements de son biographe officiel, le regretté Gilles Verlant à qui cet article est dédié.
Il est possible de se procurer 5BIS juste ICI.

Un jour de décembre 1986, 2 gamines de 13 ans décident de frapper à la porte de Gainsbourg. C’est le début d’une amitié de 5 ans d’une pureté absolue, révélatrice de l’âme d’enfant du beau Serge.
Pour Bruce Lit, elles témoignent pour la 1ère fois ensemble avec souvenirs croisés et photos inédites.

Un mot quand même : il s’agit de mon interview la plus extraordinaire, de ce genre de miracle qui s’arrache des vicissitudes du quotirien pour dépasser tous ces acteurs, Aude, Anne et moi.
Suite à mon article sur le livre de Marie David 5BIS RUE DE VERNEUIL, Aude prend contact avec moi en message privé : elle a adoré le papier et est prête à raconter de nouveau ce quinquennat gainsbouresque consigné dans son livre 5BIS.

C’est trop beau pour être vrai : le surlendemain le livre m’arrive, dédicacé par son autrice et démarre un projet d’interview sans cesse interrompu par de longues et chaleureuses conversations sur L’Homme à Tête de Chou.

Alors que le guide d’entretien en arrive à sa finition, l’idée d’associer Anne (A-C dans le roman) le troisième segment du triangle Serge-Aude s’impose. Est-ce parce que Triangle est l’anagramme de Tringale, mon nom de famille que je me retrouve mêlé à ces « retrouvailles » en MP ? Tout ça déborde d’amour, de passion, de photos inédites, d’un peu d’indiscipline et de beaucoup d’appréhension de leur part.

Une nuit, Serge avait décidé de nous laisser son grand lit pour dormir et s’était installé à même le sol. Il ne cessait de tousser. Nous avions alors déposé une couverture sur ses frêles épaules. Il en avait été très ému.
©Aude Turpault
©Frédérique Roger

A 40 ans passés Aude et Anne se mettent à nu sans jamais, à l’inverse de ce que la grande dégueulasserie attendait d’elles, s’être foutues à poil devant le chanteur controversé.
5 ans durant lesquelles 2 gamines malheureuses vont se réfugier chez l’homme le plus populaire de France. Le public connaît alors Gainsbarre quand Aude et Anne côtoient Lucien Ginsburg un gamin de 10 ans piégé dans un corps rongé par la maladie et les excès.
5 BIS décrit les 400 coups d’un chanteur démaqué par deux pisseuses qui l’aimaient pour ce qu’il était, un clown triste qui sortait les billets comme d’autres les ballons, volait ses propres livres à la FNAC, leur faisait des burgers dégueulasses avec amour et leur a donné le courage d’être elles-mêmes contre le monde entier.

Il n’est pas donné à tout le monde de rentrer dans le cercle des créatures façonnées par Gainsbourg, des Lolitas qui lui ont toujours échappé pour lui revenir sous forme d’amour pur. 5BIS est un roman initiatique, le moment où LES PETITS BOUDINS se transforment en femmes sous l’oeil de l’esthète, le premier, le dernier à avoir cru en elles. C’est donc avec une immense fierté et un zeste d’orgueil que je vous laisse découvrir leurs réponses
.

Les autres, on s’en fout, rien que toi, moi, nous !
©Collection personnelle de Aude Turpault

Bonjour Aude, merci de m’accorder cette 1001ème interview sur Serge Gainsbourg.
Tu n’en as pas marre de parler de lui ?

Aude : Si, mais comme tu es très talentueux, on fait un effort. Plus sérieusement, non. Je ne m’en lasse pas. Même si j’ai parfois l’impression de radoter.

Aude, tu es devenue psychopraticienne en psychologie énergétique. Avec le recul, pourrions-nous dire que ta relation avec Serge était une relation empirique et passionnelle, aussi constructive que destructrice ? 2 êtres cassés qui servaient de béquilles à l’autre.

Aude : Destructrice non. Bien au contraire. Mais passionnée et passionnante. Et constructive et enrichissante évidemment, même si je l’ai réalisé bien plus tard. Ce qui est certain aujourd’hui c’est que je pense qu’il est à l’origine de ma reconversion dans l’accompagnement thérapeutique. C’est une évidence.

Déjà à l’époque, notre « mission », à Anne et moi, était de faire en sorte qu’il soit gai, qu’il prenne ses médicaments. Je me permets d’imaginer que nous avons été comme une « soupape » pour lui. Avec nous, il s’autorisait à redevenir le petit garçon qu’il n’a jamais cessé d’être : faisant les 400 coups dans la rue, jouant à chat perché ou au foot dans les grands hôtels, foutant le bordel dans les restos, volant dans les boutiques ses propres livres, jetant de la terre sur les passants, envoyant valser les journalistes venus l’interviewer, lui faisant « sécher » les sessions de travail et j’en oublie.

Tu décris avec beaucoup d’honnêteté une enfance malheureuse et incomprise. Pourquoi aller chercher chez Serge ce que tu fuyais chez ton père, également alcoolique et autodestructeur ?

Aude : Je trouvais chez « Gaingain », au contraire, la légèreté. Le 5 bis était un refuge et où on en oubliait le temps. Tout était suspendu. Comme une parenthèse enchantée. Et on a tellement ri ! Ce qui m’aidait à supporter ce quotidien très lourd et douloureux.

Oh, la jolie fossette ! Gainsbourg se laisse photographier par Aude après avoir immédiatement décelé son charme invisible aux autres.
©Aude Turpault

Comment avez-vous découvert sa discographie ?  Vous étiez trop jeunes pour comprendre ses chansons !
Aude : Grâce à mes parents. Je ne comprenais pas tout, c’est clair !

Anne : Je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu ses chansons à la maison. Le nom Gainsbourg m’était inconnu. Je l’ai découvert grâce à Aude.

Qu’est-ce qui vous plaisait dans l’image de ce vieil homme usé et ridé ? Les idoles de notre génération c’étaient Goldman, Balavoine, Renaud ou Daho !

Aude : J’aimais son côté provocateur et pas consensuel. Encore aujourd’hui, j’ai une admiration de dingue pour Philippe Katerine. Pour moi, il est de la même trempe. Furieusement fin, drôle, intelligent et « bousculant ». Je n’ai pas tellement changé de goûts, en fait !

Anne : Il avait tout sauf l’image d’un vieil homme usé et ridé ! C’était un gamin ! En fait il n’avait pas d’âge. Il pouvait jouer à chat perché ou même lever les pieds en rigolant quand Fulbert passait l’aspirateur ! (Son majordome Ndr-)

Même avant de le rencontrer, vous placez Gainsbourg dans une position d’adoration christique, celui qui va vous sauver de vous-même. Serge sera votre papa noël pendant 5 ans…

Aude : Je ne dirais pas ça. L’admiration pour l’artiste a laissé rapidement la place à l’homme, l’humain. Je l’ai aimé pour ça. Je n’attendais pas de lui qu’il me sauve, et pourtant c’est ce qui s’est passé et c’est bien après que je l’ai réalisé. Je ne pensais qu’à me marrer avec lui et Anne. Être avec eux tout le temps. Je dirais que pendant 5 ans, il a été tour à tour le Père Noël, un magicien, un pote, un frère, un père, un fils aussi dont il fallait s’occuper (le coucher, lui faire prendre ses médicaments).

Anne : Avant de le rencontrer je ne le plaçais pas dans une adoration christique. Il aura été mes vacances scolaires et mes mercredi après midi pendant 5 ans !

Le portrait flou d’une ado des 80’s
©Anne-C

En décembre 1986, vous décidez de rencontrer Gainsbourg : aviez-vous planifié cet évènement depuis longtemps ?

Aude : Absolument pas ! Cela faisait déjà quelques semaines qu’on « squattait » devant chez lui avec d’autres fans, sans jamais sonner. Ce fameux jour, c’est la pluie qui nous a poussées à le faire !

Anne : Je ne me souviens pas avoir attendu avant d’aller le voir. Une copine d’Aude lui avait filé l’adresse. Je vivais à Alesia c’était un mercredi après-midi. On a pris la ligne 4, direction porte de Clignancourt ! On est descendues à St-Germain-des-Prés sans se poser de questions !

Vous avez eu une chance incroyable : vous sonnez et il ouvre ! Avez-vous  conservé cette première photo avec lui et pourquoi ne pas l’avoir publiée dans 5bis ?

Aude : Oui, une chance de dingue d’avoir deviné le code secret (sonner 3 coups) pour qu’il vienne ouvrir. Le choix des photos revient à mon éditeur.

Anne : Oui on a eu une chance incroyable ! Enfin Aude a fait le code secret sans le savoir : Sonner 3 coups !
Il me reste 3 polaroids de cette première rencontre ou peut-être était ce de la seconde. Polaroid un peu flous! Je devais trembler et chacune dédicacée par lui ! Avec sa signature tremblante. Ça allait bien ensemble en les regardant à nouveau !

Aude , Anne et Gaingain

Serge était un homme élégant. Que sentait son salon de la rue de Verneuil ? Le tabac, son pastis, des parfums raffinés ?

Aude : C’est drôle car curieusement je ne me souviens pas de l’odeur de tabac alors que nos vêtements, nos cheveux en étaient imprégnés. Je ne me souviens que de la chaleur à l’intérieur et son parfum.

Anne : Serge était très élégant car il faisait venir la manucure pour ses ongles, son jean était coupé et élimé pour tomber pile au niveau des repettos ! Ses cheveux toujours à la même longueur ! C’est étrange jamais je me suis dit « il sort de chez le coiffeur ou bien il a les cheveux longs », non ils étaient toujours à la même longueur. Il devait se les couper seul.
L’odeur de son parfum Van Cleff and Arpels c‘était ça l’odeur chez lui. Il avait une immense bouteille sous sa table. Il s’en aspergeait les joues et le cou plusieurs fois par jour !
L’odeur du tabac c’était seulement dans les taxis assise à côté de lui que je m’en souviens.

5bis  m’apprend des détails ravissants : Serge écoutait la musique à fond et Elvis quand il avait besoin de pleurer. Que disait-il du King ?

Aude : Hélas je ne sais plus. Je me souviens seulement qu’il pleurait énormément en l’écoutant.
Anne : Oui il écoutait sa musique à fond . Lui, Adjani, Birkin !
Je ne me souviens pas qu’il écoutait quelqu’un d’autre.

Mais 2 anecdotes : un jour il nous montre un nouvel appareil en disant « regardez comme c est génial » . C’était un lecteur CD ! C était tout nouveau !
Alors il se lève et met un CD.. et à la fin Aude se lève pour mettre l’autre face ! Et là, je me souviendrais toujours de son amusement ! Y avait pas de face B comme sur les 33 tours !
Et une autre fois, il revient du drugstore avec un CD de lui, il l’ouvre pour le mettre.. C’était Johnny Hallyday ! Il y avait eu une erreur ! Il tirait la tronche ! C’était drôle.
Je me souviens d un 33 tours des Sex Pistols mais c’était plus pour la déco! Il était posé par terre. On l’a jamais écouté.

D’autres détails peuvent rappeler un Marlon Brando paranoïaque : Serge vous espionnait depuis sa chambre avec un mouchard radio depuis son salon !

Aude : Oui et avec le recul c’est bouleversant. Cela montre à quel point il a pu être blessé par les autres, probablement trahi, au point de vouloir espionner ce qui se passait dès qu’il tournait le dos. Ça me rend très triste.
Anne : Oui, on a su bien plus tard que Serge nous écoutait. Mais je crois que c’était suite au fait qu’un homme s’était introduit chez lui.
Mais c’est vrai qu’il montait parfois sans raison et là on a compris…

Serge mettait son réveil tous les jours pour voir ses copains éboueurs et espérer faire un tour sur le camion-poubelle. Il saluait alors les passants de la main, si fier
©Aude Turpault
©Frédérique Roger

Aude, parlons de ton parti pris narratif : pourquoi ne jamais nommer Gainsbourg et ce détachement ? Tu dis Lui pour Serge et  Elle pour toi.

Aude : Je n’arrivais pas à écrire « je », c’était impossible. La 3 ème personne m’a permis la distanciation nécessaire à l’écriture car je suis très pudique et réservée. De plus, je ne souhaitais pas « profiter » du fait que ce soit Gainsbourg. J’aurais pu mettre son nom dans le titre (j’aurais peut-être bénéficié de plus de visibilité), mais je ne l’ai pas fait. Je voulais que cette histoire puisse être universelle : un chanteur vieillissant et malade qui passe beaucoup de temps avec deux ados qui essaient de lui insuffler de la vie. Le titre m’a été soufflé par Gilles (Verlant, le biographe décédé de Serge- Ndr), il trouvait chouette d’en faire un roman à tiroirs, avec des énigmes, qu’on croie qu’il s’agisse de Bashung ou Higelin. Et puis j’avais aussi envie que ce livre vive un peu caché. D’ailleurs, quand on vient m’en parler, je suis toujours surprise car peu référencé et ça me convient.

5 Bis voit le jour 15 ans après la mort de l’artiste. Pourquoi avoir autant attendu ?

Aude : C’est le temps qu’il m’a fallu pour réussir à en parler. Juste après sa mort, j’ai voulu vivre ma vie d’ado car avant, toute ma vie tournait autour de lui. Après son décès, je ne parlais pas de lui, c’était trop douloureux et c’est Gilles, encore lui, qui m’a demandé de lui envoyer par mail un souvenir par jour. Et quand il y a eu pas mal de mails, il m’a suggéré de raconter le reste, ma vie, l’école, etc

Quelle a été la réaction du clan Gainsbourg à 5bis ? Ils apparaissent tour à tour dans ton roman : Birkin est charmante et aimable, Bambou jalouse et Charlotte sympathique avec vous.

Aude : Je le leur ai fait parvenir mais n’ai eu aucun retour. On m’a raconté que Charlotte avait regardé une émission que j’avais tournée pour Canal Plus, mais je n’en sais pas plus.

Serge te dédicace une HISTOIRE DE AUDE NELSON. Son écriture est très tremblante, pourquoi ?

Aude : Son écriture était très travaillée, c’était sa « signature ». Il s’appliquait. Et puis probablement l’alcool, la vue plus très nette 

Dans son calepin Hermès, Gainsbourg note le 15ème anniversaire de Aude à souhaiter.
©Collection personnelle de Aude Turpault

A deux reprises votre amitié tourne à l’amour platonique : Serge te déclare son amour. Tu es devenue l’une de ces mineures dont il s’imaginait s’éprendre ?

Aude : Je suis incapable de répondre pour lui… Je n’ai pas compris ce qui se passait à ce moment-là.

Tu l’aimais, tu le trouvais beau, tu ne pouvais pas vivre sans lui, tu étais très mature pour ton âge : pourquoi ne pas avoir cédé à la tentation ?

Aude : Je n’ai jamais vu en lui autre chose qu’un père, qu’un pote. Jamais je n’ai pensé à quoi que ce soit d’autre. Je l’ai rencontré lorsque j’avais 13 ans !

Tu es aujourd’hui mère de 2 filles de 24 et 13 ans. Si demain la cadette  allait squatter chez Benjamin Biolay, son fils spirituel, tu dirais quoi ?

Aude : Bah d’abord, j’exigerais qu’elle m’emmène avec elle parce que Biolay, ma foi, j’aime beaucoup. Plus sérieusement, je ne serais pas hyper ravie et je pense que je la mettrais en garde. Mais je ne l’empêcherais pas, bien sûr.

Anne, dans cette relation triangulaire, tu étais celle qui semblait la plus en retrait. En as-tu souffert ?

Anne : Je n’ai pas souffert de cette relation triangulaire où Aude avait plus de place. J’étais en retrait. Je me trouvais tellement moche. Des boutons , des cheveux moches, des bagues au dents.. et Aude était si belle. Des cheveux toujours propres sentant le Timotei , son parfum Anais de Cacharel, sa peau parfaite ! Et moi j’aimais y aller pour être avec elle et aussi j’aimais bien les moments d’attente c’était un tout !

Fréquenter Gainsbourg vous expose à de terribles représailles dans vos écoles respectives. Bien avant les réseaux sociaux, on vous traite de putes (dans le meilleur des cas). Pourquoi cette jalousie ?

Aude : C’est un peu, hélas, l’histoire de toute ma vie. J’ai souvent généré chez les autres de l’agressivité, de la jalousie et avec cette histoire, de l’envie. Je pense que ma trop grande empathie, ma candeur ont joué en ma défaveur. Alors que je n’ai jamais emmerdé quiconque, au contraire !

Cette haine vous a-t-elle traumatisées ou fait grandir ?

Aude : Probablement les 2. Car j’ai quand même été plus que « chahutée » dans les couloirs du collège puis du lycée. J’ai été insultée, menacée, on me suivait jusque chez moi, je recevais des messages téléphoniques de haine, des insultes écrites sur les murs. Et je n’étais pas dans le même établissement qu’Anne. On aurait été plus solides à deux.

Anne : Oui on engendrait la haine et la jalousie. Je me souviens qu’il nous avait signé un immense Gainsbourg sur notre jean ! En fait on était déconnectées des jeunes de nôtre âge. On a vraiment vécu 5 ans à 3 dans ce schéma « On va voir gaingain ».

©Collection personnelle de Aude Turpault

Sur vos profils respectifs ne figurent aucune photo avec Serge.  Pourquoi cette volonté de discrétion ?

Aude : Probablement pour les raisons indiquées plus haut. Pas envie de susciter encore de la haine ou de la jalousie. Et je ne veux pas me servir de cette histoire, qui est si belle. Elle nous appartient, à Anne et moi, même si elle a fait l’objet d’un livre (cette histoire est si jolie qu’elle ne pouvait rester dans l’ombre). Je ne revendique rien, ne recherche rien. J’ai trop fait les frais de la haine des soi-disant fans de Serge. Je ne veux plus de toute cette folie.

Anne : Pas de photos sur mon mur ou très peu parce que à part quelques proches, cette histoire attire encore beaucoup de jalousie et de haine. Surtout sur les réseaux sociaux où il y’a de sacrés cinglés.

30 ans après la mort de Gainsbourg, ces 5 années folles ont-elles entravé vos vies amicales et amoureuses ?  Comment supporter la routine  et les gens ordinaires après avoir mené cette vie-là ?  L’ombre de Gainsbourg n’est pas lourde à porter pour vos proches ?

Aude : C’est tellement vrai ce que tu dis. Je ressens un grand manque lorsque je repense à cette longue et belle parenthèse enchantée. Car j’ai aussi perdu Anne en même temps (elle était amoureuse). Même si elle est toujours là aujourd’hui. J’ai perdu cette légèreté, ce rire facile. Je n’ai jamais autant ri qu’avec ces 2 là ! Alors oui, ce qui va paraître super prétentieux mais j’assume, j’ai du mal à supporter la médiocrité de certains. Je m’indigne en permanence et regrette parfois de ne plus être au 5 bis et vivre encore sa magie. Quant à mon entourage, il faudrait le leur demander mais j’ai très vite cloisonné. Et je n’en parle jamais. Et, curieusement (ou pas), les personnes qui ont partagé ma vie n’ont jamais particulièrement été intéressées par lui. Il est des rencontres qui marquent une vie. Celle-ci est tellement forte, singulière et passionnée que c’en est parfois douloureux d’y repenser. Mais je ne me plains pas, hein ! 

Anne : Oui, avoir rencontré Gaingain a changé ma vie évidemment. Enfin je pense qu’on l’a rencontré tellement jeunes qu’on ne s’en est pas rendues compte. En tout cas je repense tous les jours à lui. Il était vraiment chouette ! Drôle mais aussi triste. C était un mélange comme un cocktail. Jamais pareil à un ingrédient près. J’aimerai tellement le revoir maintenant. Concernant ma vie amoureuse non ça n’a pas eu d’impact.

Entre deux fous rires, un démon passe…Ambiance noire chez Gainsbarre.
©Collection personnelle de Aude Turpault

Vous étiez les confidentes de Serge.  Pour avoir lu et vu presque toutes ses interviews des années 80, on voit quand même qu’il radote et raconte presque toujours les mêmes anecdotes, les mêmes blagues. Vous n’en aviez pas marre parfois ?

Aude : Non pas du tout.

Anne : Ahah oui c’est vrai il radotait ! Et ses blagues étaient pas toujours drôles. Je me souviens de :
– Comment on dit bonjour en japonais ?
– Aligato ..au chocolat
Ça le faisait rire! Mais c était tout un ensemble en fait ! C’était aller chez lui, écouter de la musique, sortir, rester toute la nuit, partir au Raphael.
C’était tellement bien. Le temps était suspendu. En plus il y avait pas le jour qui passait chez lui donc aucune notion du temps. C était du coton ces journées là….

Ne vous sentiez pas impuissantes face à son mal-être ? Jean-Pierre Dionnet ou Philippe Manœuvre ont avoué avoir jeté l’éponge.

Aude : Jamais. Nous étions si jeunes. Je ne comprenais même pas comment un adulte pouvait pleurer autant. Ca m’échappait complètement et cela ne pouvait pas avoir d’impact sur moi à ce moment-là. Ca n’a jamais influé sur nos rires, notre gaité. Mais il est parti avec…

Anne : Je ne me rendais pas trop compte de son mal être. Aude était plus encline à cela. Je pense que par ce qu’elle vivait avec son père, elle avait beaucoup de tendresse et de bienveillance pour ceux qu’elle aimait. Elle a toujours eu ça en elle. Moi non. Je sais pas j’y pensais pas. Je le voyais pourtant aller mal mais je ne trouvais pas ça triste.
J’ai commencé à être vraiment touchée quand il est parti à Beaujon … On est allées le voir à l’hôpital. C’était vraiment horrible. Il avait son Snoopy peluche avec lui. Là c’est devenu horrible. Il faisait que répéter « je peux finir aveugle ».. il soufflait cette phrase à lui même.. en regardant dans le vide.. c’était terrible… puis d’un coup il se remettait à faire le mariole.. mais c’était de moins en moins convainquant….

Serge pose sous « Aude est folle »
©Collection personnelle de Aude Turpault

Qu’est ce que ce cinquantenaire gagnait à fréquenter deux adolescentes alors ? Il était l’homme le plus célèbre de France !

Aude : Je ne peux bien sûr qu’imaginer ce qu’il ressentait. Mais un de ses proches m’a rapporté un jour qu’il a dit de moi : « Avec Aude, je ne suis pas obligé de faire semblant ». J’aime à penser qu’il trouvait chez nous l’authenticité dont il avait besoin, la franchise. On n’hésitait pas à l’envoyer chier ou à lui dire quand il commençait à déconner. Il pouvait être lui-même, sans tricher, sans peur du jugement et sans avoir à jouer un rôle.

Anne : A l’époque il était vachement moins adulé que maintenant !
Y’a un espèce de culte maintenant. Ces gens qui reprennent ses chansons, ce culte pour MELODY NELSON.. c’était pas comme ça à l’époque.
Oui il était aimé mais beaucoup le traitait de personnage dégueulasse et ça l’affectait. Comme cet imbécile de Demis Roussos qui ne voulait pas avoir une table près de la sienne. Ça l’attristait même si il les envoyait bien chier. Il était vachement sensible. L’âme slave mais ça a 14 ans, on ne comprend pas..

Serge distribuait des billets de banque aux taxis, aux restaurants, aux éboueurs, aux flics… Aviez-vous l’impression qu’il achetait cet amour ?

Aude : Absolument pas, je n’y ai même jamais pensé !

Anne : 0h non il n’achetait personne avec ses Pascal ! Il faisait juste   distribution de billets, un vrai généreux.

Du jamais vu ! Gainsbourg dans sa cuisine !
©Collection personnelle de Aude Turpault

5 BIS  dévoile  un truc invraisemblable : une liste de course écrite par Serge Gainsbourg ! Était-il bon cuisinier ?

Aude : Mais oui ! Un soir où il souhaitait nous préparer quelque chose, nous ne voulions que des hamburgers et comme il refusait d’aller au fast food (je le comprends hein), il est allé faire des courses et nous les a préparés ! (on a détesté), mais avec le recul, quelle jolie attention ! J’ai pris un jour une photo où il est en train de cuisiner. De mémoire, c’était un plat russe.

Anne :  Il avait des drôles de produits dans sa cuisine, des trucs très chers ! Il nous avait fait des hamburgers maison avec des vrais cornichons russes . On regardait un film en même temps LA TRAVERSEE DE PARIS, nous on déconnait, lui cuisinait ! Il voulait pas qu’on rate le fameux «salauds de pauvres», il nous disait « c’est passé ? » , on répondait « oui oui », en fait on savait pas… Et là en nous servant les hamburgers qu’il avait vraiment réalisé avec amour, on entend « salauds de pauvres »!
Voilà c’était comme ça avec lui. Drôle, léger, fragile et fort en même temps.
Lui ne mangeait pas… il nous regardait toujours et disait « vous avez de la chance d’avoir de l’appétit ».   Je pense avec le recul qu’il aurait aimé avoir de nouveau 14 ans.

Tu as servi de répétitrice pour qu’il apprenne ses chansons avant ses concerts.  Gainsbourg avait des problèmes de mémoire ?

Aude : Oh oui. L’alcool ne devait pas aider.

Gainsbourg vous décrit dans 5 EASY PISSEUSES. Ce n’était pas un peu vexant ?

Aude : En toute franchise, je ne me souviens pas de ce texte. Je préfère garder en mémoire celui qu’il nous avait dit avoir écrit pour nous AUX ENFANTS DE LA CHANCE.

Anne : Pas le souvenir de 5 EASY PISSEUSES Mais AUX ENFANTS DE LA CHANCE  oui .. il avait dit qu’elle était pour nous
Je me souviens quand il a composé l’air, après on a pris un tacot.. j’ai sifflé l’air dans la voiture.. il a ouvert de grands yeux et dit « tu te souviens de l’air c’est que ça fera un carton « .
Pour cet album on l’a vraiment vu le composer.. Aude avait le dictionnaire de rimes sur les genoux et le faisait avec lui
!

Aude tu étais figurante sur le plateau de STAN THE FLASHER, un film terriblement déprimant. Tu n’avais pas envie de légèreté parfois ?

Aude : Mais la vie avec lui était légère ! Nous ne faisions que rire aux éclats (entre deux sanglots de sa part, il est vrai). Je me répète mais il est la personne la plus drôle (avec Anne) que j’aie connue. Un truc qui me revient, c’est quand il insultait quelqu’un (ou plutôt quand il répondait à une insulte), il disait : « Je te chie dans les doigts! ». Je n’avais jamais entendu ça avant ni après lui, d’ailleurs 

Regard complice entre Serge et Aude sur le tournage de STAN THE FLASHER. La jeune Elodie Bouchez à la droite de notre amie.
©Marie Clérin

Aude, pourquoi éluder la mort de Gainsbourg dans ton livre ? C’est un moment attendu que tu ne racontes pas.

Aude : C’était beaucoup trop intime et douloureux. Je préférais imaginer qu’il n’était pas mort.

Serge n’a pas pris ses médicaments pour le cœur la veille de sa mort. Suicide ou mort naturelle ?

Aude : Je ne crois pas à un hypothétique suicide. Il avait une peur panique de la mort et quoiqu’on en dise, ou malgré son « régime » de vie que beaucoup qualifieraient de suicidaire, il voulait vivre. Il avait d’ailleurs beaucoup de projets.

Anne : Serge a pris ses médicaments pour dormir… Il se soignait il voulait pas mourir. Son cœur a lâché.

Aude, la carrière de romancière ne t’intéresse pas ? Pourquoi ne plus rien avoir écrit depuis ?

J’ai envie d’écrire autre chose, oui, un jour. Lorsque je serai grande 

Aude, tu as écouté ABIGAELLE, TELLE QU’EN ELLE-MÊME, la démo du disque que Serge devait enregistrer à la Nouvelle Orléans. Que peux-tu nous en dire ? Qui détient ses bandes ?

Nous les avions écoutées chez lui. Mais je ne m’en souviens pas. Juste que c’était très « jazzy ». Je n’y avais pas prêté une attention particulière car pour moi il n’allait pas mourir. J’ai entendu dire que c’était Bambou qui avait ses bandes mais je n’en sais pas plus.

La tendresse sous les lunettes noires
©Collection personnelle de Aude Turpault

Votre album préféré de Gainsbourg ?

Aude : MELODY NELSON

Anne : VU DE L’EXTERIEUR. Car c’est celui que j ai écouté jusqu’à l’usure en grandissant avec lui. C’était le disque numéro 6 dans le coffret…

Lorsque Charlotte se met en scène dans LYING WITH YOU dans la rue de Verneuil, que ressentez-vous ?

Aude : J’étais bouleversée. Au départ j’ai juste entendu la chanson et j’ai beaucoup pleuré. Je n’ai regardé le clip que 2 fois car revoir le 5 bis, l’atmosphère, me fait trop de peine. J’aurais tellement voulu y retourner une dernière fois, dire au revoir à ce lieu si singulier, et aussi merci. J’en rêve très régulièrement, pour enfin tourner la page. Et non pas fermer ce livre.

Anne : Le clip de Charlotte me file des frissons.. pouvoir y retourner une dernière fois..

Le petit hôtel de Serge transformé en musée : pour ou contre ?

Aude : Au départ j’étais contre, très égoïstement, et puis maintenant que je suis mère, j’aimerais y emmener mes filles. C’était si fou, ce qu’on y a vécu dans ce lieu, j’aimerais qu’elles voient cela.

Anne : Contre le fait d’en faire un musée. Il était tellement maniaque ! Je l’imagine voir tous ces gens chez lui ! Oh non !

Cette interview touche à sa fin.  La question que j’ai oublié de vous poser ?

Aude : Pensez-vous que cette amitié aurait continué s’il n’était pas mort en 1991 ?

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Aude :  Ecoutons Serge, regardons-le, lisons-le... C’était un être exceptionnel, une grande et belle âme qui mérite qu’on continue de parler de lui, lui qui aimait tant ça !

Anne : Etc.

Aux femmes, etc.
©Studio Julke – Kevin Antoine
©Lila C

Epilogue

C’est bien la première fois que je ne veux pas publier mon interview.
Oh, non pas par anxiété mais par pur égoïsme : celui d’avoir eu la sensation d’avoir créé avec Aude et Anne une relation de confiance privilégiée, complice et rare. Se dire que, comme des gosses à la fin des vacances, on va s’échanger nos adresses avant de partir chacun de notre côté laissant loin derrière nous nos tchats quasi-quotidiens de confidences et de fous rires.

Non.
Il est décidé de se rencontrer malgré l’indisponibilité de Anne, le Covid, malgré la fermeture des bars et la SNCF qui transforme un simple aller-retour vers la capitale en équivalent Paris Marseille.
Aude m’attend patiemment ; Elle a un léger trac. Moi aussi. je vais rencontrer l’amie intime de Serge Gainsbourg.
Elle est là, frêle silhouette, parlante et écoutante, heureuse et marquée : une amitié pareille, on n’en sort pas indemne. Nous abordons tellement de choses : les premiers enfants de Gainsbourg Natacha et Paul restés dans l’ombre, Françoise Hardy qui téléphonait tous les jours, le disque et le 1er rôle que Gainsbourg avait promis à Aude pour STAN THE FLASHER, la fois où elle l’a dissuadé d’écrire pour Anthony Delon et tant de choses encore.

Tout chez elle respire l’intelligence, l’empathie et la compassion mais aussi une grande détermination et une lucidité sans égal sur ce qu’elle a gagné et perdu.
Aude, c’est à la fois Jane B et Charlotte G. Pas étonnant que Serge l’ait tant aimée. Si vous êtes arrivés au bout de ces lignes, désormais, vous aussi…

Nous, non plus.
Un flou artistique signé Steve Tringale

La BO du jour : Une chanson méconnue, la seule où Gainsbourg chantait les vertus de l’amitié :




46 comments

  • Surfer  

    Décidément Gainsbourg est un personnage que j’ai du mal a cerner !
    Quel intérêt a-t-il pu avoir à côtoyer 2 gamines pendant 5 ans !?
    C’est assez déconcertant malgré le semblant d’explications dans l’interview !
    La question que je me pose, c’est : Comment aurait-ont perçu/accepté cette histoire si ce n’était Mr Gainsbourg ?
    Bon, les protagonistes ont l’air d’avoir apprécié sa compagnie. C’est ce qui compte et tant mieux pour elles.
    Ce témoignage a l’air sincère qui et il nous dévoile une autre facette de cet artiste au caractère et à la vie complexe.
    Il vient compléter l’interview précédant qui était déjà valorisant et en sa faveur
    Cependant tout cela est bien paradoxal !
    Entre son image médiatique sulfureuse, ses actes (dont j’ai déjà parlé ici) et le témoignage intime de ses proches…c’est à n’y rien comprendre !
    Dans ce cas, je préfère ne pas m’intéresser à sa vie privé, car on découvre toujours tout et son contraire !
    En toute objectivité, je ne pourrai jamais avoir un avis tranché sur ce personnage contradictoire !

    Je préfère écouter sa musique et cela me suffit amplement !

    • Bruce lit  

      @Surfer
      Il ne devrait plus y a avoir d’articles Gainsbourg avant….la semaine prochaine ?
      Non, je crois avoir fait le tour de la question même si tôt ou tard il faudra que je finalise le focus que je vais faire depuis des années autour de ses chansons pour France Gall.
      Comment aurait-ont perçu/accepté cette histoire si ce n’était Mr Gainsbourg ? Question difficile. Pour ma part, je dirai que ce qui séduit tant chez lui est le fait que l’on quitte la sphère du simple chanteur pour rentrer dans celle du romanesque. Ce qui garantit un filon inépuisable. Serge Gainsbourg est à la fois un artiste, un personnage de roman, un héros de tragédie, une victime de l’histoire (il a gardé des marques de son passage par la case Shoah), un filou de BD, un érotomane puis un pornographe, un cinéaste et un poète.
      Les entretiens en -off avec Aude et Anne m’ont appris aussi des trucs assez sordides que je ne souhaite pas mettre en avant pour ne pas faire du Ici Paris et surtout ne pas mettre en difficulté ces deux personnes qui ont suffisamment morflé, encore aujourd’hui, d’avoir connu Serge Gainsbourg.
      Honnêtement le prix à payer a été terrible avec menaces, diffamation et harcèlement. J’avais assuré mes interlocutrices qu’on n’ouvrirait pas les poubelles, d’autres, notamment Lio ont fait ça très bien.

      • Surfer  

        Non, mais t’es articles sur Gainsbourg sont toujours bienvenus !
        Surtout lorsqu’ils sont de cette qualité.
        Ce que j’essaie d’expliquer c’est que je n’irai pas de moi-même fouiller ou chercher des informations sur l’intimité du personnage.
        Par contre si une chronique sur Gainsbourg vient s’intercaler entre 2 articles de comics dans ton blog. Je la lirai volontiers
        En fait, je me fout de tout ce qui a été dit ou écrit sur lui en dehors de la musique. Je dissocie toujours l’artiste et son œuvre.
        Sinon, comme tu dis, je suppose aussi que son histoire a forgé son caractère. Forcément la Shoah est effectivement un exemple traumatisant d’où l’on ne sort pas indemne.
        Ton interview suinte toute la passion que tu portes à Gainsbourg. Je comprends que le personnage te fascine.
        Les mots des Aude et Anne sont très forts. Ils expriment aussi leur amour. Elles ont passé de bons moments en sa compagnie est c’est cela le plus important.
        Lors de mon intervention je faisais juste des remarques sur des choses que j’ai du mal, dans un premier abord, à appréhender. Je suis moi même père de famille et j’imaginais ma fille mineure a passer ses vacances scolaires et mercredis chez un homme! Qu’il soit connu ou pas, je crois que je ne l’aurais pas accepté !
        Ton explication de personnage romanesque tragique peut expliquer certaines choses. Sauf que la vraie vie n’est pas une fiction.
        De part ma formation scientifique j’ai plutôt un esprit cartésien. Je me fis aux actes. Ses interventions et ses provocations dans les médias m’ont probablement transmis des informations biaisées sur sa réelle nature. Malheureusement c’est les seules choses objectives que je connaisse à son sujet.
        De toute façon, personne n’est parfait et malgré tout il n’a jamais rien fait de gravement condamnable.
        Gainsbourg restera et sera toujours le personnage que l’on aime détester

        • Bruce lit  

          En fait, je me fout de tout ce qui a été dit ou écrit sur lui en dehors de la musique. Je dissocie toujours l’artiste et son œuvre.
          Moi aussi. Mais j’aime bien en savoir plus en général, savoir comment l’homme s’articule avec son oeuvre. Et si celui-ci a fait une grosse connerie, je continue de pouvoir apprécier son oeuvre sans aucune illusion sur l’homme. Pour l’instant Gainsbourg ne rentre pas dans le collimateur de la Cancel Culture. Ça finira par arriver hélas. La sortie de Lio en est la prémisse, j’en suis persuadé.

          Lors de mon intervention je faisais juste des remarques sur des choses que j’ai du mal, dans un premier abord, à appréhender. Je suis moi même père de famille et j’imaginais ma fille mineure a passer ses vacances scolaires et mercredis chez un homme! Qu’il soit connu ou pas, je crois que je ne l’aurais pas accepté !
          Voilà une réaction tout à fait saine. Aude ne fait pas abstraction dans 5BIS de ses visites irrationnelles aux yeux de sa famille. Ce sont des chapitres d’une beauté absolue qui m’évoque certains films de Pialat ou Blier : fuir pour exister. Dans l’idéal, nos enfants ne devraient pas avoir à se réfugier chez un chanteur alcoolique pour être heureux.
          Le repas avec Aude m’a conforté dans l’idée que certaines choses sont plus confortables à lire qu’à vivre.
          La plupart des faits des Rockstars sont marrantes sur le papier. Dans les faits, je n’aimerai pas dormir dans l’hôtel de Motley Crue, ranger la chambre de Keith Moon ou pisser derrière Ozzy Osbourne ou interviewer Lou Reed. Je n’aimerai pas vivre avec Marilyn Manson, John Lennon ou Serge Gainsbourg… Mais les rencontrer oui.
          Ce sont ces articulations entre l’artiste et l’homme qui me fascinent depuis toujours.
          Quand Johnny Hallyday monte sur scène, il n’est plus ce vieillard pathétique qui entretient ses conflits d’héritiers et rongé par le cancer. Cette transformation en plus grand que soi, c’est la magie de l’art. On en reparle la semaine prochaine avec un article sur la mythologie rock.

          • Surfer  

            Je ne connaissais pas les déclarations de Lio sur Gainsbourg !

            Puisque tu l’as évoqué je m’y suis intéressé et je suis allé glaner des informations sur la toile.
            Elle affirme qu’il était le Weinstein de la chanson française !

            Bon, cela confirme et renforce les propos de mes interventions !

            Qui croire ?

          • Bruce lit  

            @Surfer : alors pour le coup, c’est sans doute la seule fois où j’ai publié sur FB une tribune sur ce genre de ragots. Elle a été assez relayée. Je te la copie colle :

            Ainsi, donc, selon Lio, Gainsbourg était le Weinstein de la chanson française parce qu’il aurait caché le sens des SUCETTES à France Gall ?!
            Sérieusement, la brune mériterait une prune (financière – je précise-). Là, je ne sépare plus l’homme de l’artiste mais énonce des faits précis et incontestables.

            -Gainsbourg s’est rendu coupable dès le début de sa carrière de misogynie qu’il assumait totalement au fil de ses interviews et de ses chansons (VU DE L’EXTERIEUR). Il s’agit de son choix qui venait contraster avec les nombreuses femmes pour qui il a écrit les chansons les plus sublimes du répertoire français.

            – Des chansons que Lio aurait tué pour avoir, notamment SOUVIENS-TOI DE M’OUBLIER qui échoira chez Catherine Deneuve. (Source Gilles Verlant).

            -On se souviendra de son comportement odieux face à Catherine Ringer (qui continuera malgré de reprendre ses chansons), lourd avec Catherine Deneuve à qui il pince les fesses à la tv ou mufle avec Whitney Houston (qui en verra d’autres avec son mari Bobby Brown) .

            – On sait qu’il a cogné Jane et Bambou et que , tel un héros de Scorsese, il s’est autodétruit pour expier le mal qu’il leur avait fait. Elles auraient eu le droit de le trainer dans la fange. Pas Lio.

            – On parle encore de Gainsbourg et pas de Francis Cabrel… L’homme est mort depuis presque 30 ans et ne peut plus se défendre ou s’excuser.
            A l’inverse de Weintsein, Serge n’a violé, menacé intimidé personne. Il a créé plus de carrières qu’il n’en a ruinées. Il ne disait jamais non pour aider un artiste en galère qui lui demandait sa plume. Il donnait plus d’argent qu’il n’en exigeait
            Il était aussi con et lourd que peut l’être un mec bourré, mais Serge n’a jamais fait régner la terreur dans le milieu de la chanson française.

            -Maintenant, parlons de France Gall : le coup des Sucettes date de…1966 ! Elle l’a mauvaise oui, mais Gall est une battante, une femme forte et qui subit bien pire que la mauvaise blague de Gainsbourg : elle vit avec un bel enfoiré nommé Claude François.
            Entre 67 et 72 elle continue de commander des chansons à Gainsbourg alors qu’elle a tous les compositeurs à ses pieds.
            Précisons enfin que Serge n’a jamais violé ni approché sexuellement France Gall. Il était attiré, elle pas du tout, il n’a pas insisté.
            Elle ne travaille plus avec lui non par dégoût, mais par amour de Michel Berger, un grand fan de Serge Gainsbourg, avec qui il va faire une télé mémorable : le 18/11/1978, ils reprennent et déconnent sur le scandale des Sucettes. Berger est hilare et dit qu’il adore la chanson. Il chante même dessus !

            Gall des années avoir enterré son mari (infidèle) et sa fille, a toute les raisons de détester, de haïr la terre entière. Or, elle ne vomit pas sa haine. Lorsque on lui repose la question des Sucettes : elle répondra, « Serge était un cochon, mais c’était Gainsbourg, quoi « … Un Balance ton porc assez sympathique en somme.

            -Quant à Lio…
            Wanda se réveille bien tard hein… Il faut savoir qu’elle a très bien connu Gainsbourg puisque elle a vécu avec lui de longues semaines à Los Angeles avec Bambou et Chamfort pour qui il composait des chansons qui ne l’intéressaient pas. Une cohabitation explosive : alcool, drogue, les 2 nanas qui ne peuvent pas se blairer, un clash qui date de…décembre 1980. Gainsbourg se barre sans finir les chansons, un de ces moments où il n’est pas classe. Ils accoucheront ensemble dans la douleur de Manureva, une chanson qui fera la renommée et remplira les poches de Chamfort.

            Une accusation qui n’a donc pour elle que le sceau de l’injustice et d’un révisionnisme dangereux, qui ne grandira ni son parjure ni la cause des femmes que Lio avait toujours défendue avec honneur. Jusque maintenant…
            On attend désormais les réactions outrées de la famille de Gunther Sachs pour porter plainte contre l’ancien amant de Brigitte Bardot….

          • Surfer  

            Soyons clair, je ne donne pas raison à Lio ! Ses déclarations confortent simplement mon sentiment que l’on peut entendre tout et son contraire sur Gainsbourg .
            Lio peut dire ce qu’elle veut ! C’est aussi à nous à faire la part des choses et à y accorder ou pas de l’importance.
            Pour ma part, il est évident que je donne plus de valeur et de crédibilité au témoignage d’Aude et Anne ! Manifestement elle sont entrées dans l’intimité de l’artiste et ont carrément vécu cette proximité de l’intérieur.
            Chez Lio il y a très certainement une part de jalousie et de frustration. De plus, salir une personne de cette manière 30 ans après sa mort n’est pas très élégant. C’est même lâche et mesquin.
            Comme tu dis Gainsbourg n’est plus là pour se défendre.

            Ceci dit tu fais toi même un constat assez déplorable en défaveur de Gainsbourg !

            1) Il était misogyne et il l’assumait
            2) Il a été odieux avec Catherine Ringer
            3) Muffle avec Whitney Houston
            4) il a cogné Jane et Bambou

            Et puis, au passage, ce n’est pas parce que France Gall a vécu avec un enfoiré qu’elle devait ensuite tout accepter ! Le mal que lui a fait une personne ne doit pas minimiser ce que peut lui faire subir, par la suite, un autre.

            Gainsbourg était un personnage paradoxal et complexe. Il avait certainement beaucoup de qualités mais aussi des défaut. Il est mort à présent et je ne veux garder de lui que sa musique.

            Je ne veux pas le juger, je ne fais que constater.

          • Bruce lit  

            Je suis d’accord avec ton argumentation. Rationnelle et logique.
            Gainsbourg était le paradoxe incarné : laid et séduisant, misogyne et pygmalion, clodo et princier, provocateur et assez réactionnaire, tendre et violent, libérateur et tyrannique : Ecce Homo !
            Merci d’avoir enrichi ce débat, c’est passionnant Surfer.

  • Jyrille  

    Quelle histoire incroyable. Bravo Bruce d’avoir réussi à mener cette rencontre, ces rencontres, et cette interviews. Je suis toujours estomaqué par la jalousie et l’agressivité des autres, la bêtise générale qui harcèle, insulte. C’est insupportable.

    Merci donc pour le partage et toutes tes précautions en début et fin d’article qui expliquent bien l’exceptionnalité de ces moments.

    La BO : je ne connaissais pas en effet. La seule à parler d’amitié, tu es sûr ?

    • Bruce lit  

      @Cyrille : c’est une chanson anecdotique que j’ai mise pour sortir un peu de l’ordinaire. Le clip existe sur l’intégrale DVD avec Gainsbourg habillé en Cow-Boy dansant avec Jacques Legras… J’aime bien cette incursion Country. Gainsbourg c’est du l’urbanisme normalement !
      J’ai été très sensible à ce que Aude et Anne ont traversé enfants. C’est vomitif cette haine sourde. C’est la même qui aura tué le petit Gregory. Ou pourrit le début de carrière de Vanessa Paradis, qui en passant par la case Gainsbourg, voulait asseoir sa crédibilité.

      • Eddy Vanleffe  

        Le petit Gregory de la Vologne? …C’est quoi le rapport?

        • Bruce lit  

          Je fais le lien avec meurtre d’un enfant victime de la jalousie et de la mesquinerie d’un corbeau qui ne supportait pas la promotion sociale et le bonheur des Vuillemin. Être capable de tuer un enfant pour les punir d’être heureux. J’exagère (comme d’habitude) mais le registre n’est pas si éloigné.
          Punir Aude et Anne de connaître Gainsbourg : leur cracher à la gueule, laisser des graffitis, menaces de mort : on est dans l’exécution sociale de deux personnes qui accèdent à de l’extraordinaire et à qui on fait payer.
          James Dean avait dit à un journaliste : Je suis heureux mais surtout ne l’écrivez pas : le bonheur vous donne le visage d’une pute aux yeux des autres.

          • Eddy Vanleffe  

            Ok je comprends mieux

  • nico  

    Merci infiniment pour ce partage.
    Histoire magnifique.
    Pas d autres mots…

    • Bruce lit  

      Rien c’est déjà beaucoup Nico.
      Merci du passage.

  • Manu  

    Alors j’avoue sans aucune honte être un total béotien en ce qui concerne Gainsbourg. Comme tout le monde je connais certaines bribes de ses chansons qui passaient à la radio ( avant que j’arrête définitivement de l’écouter et de regarder la télé).
    Ce qui me frappe le plus c’est vraiment l’intention qui a été mise au travers de cet article : frêle, touchante, respectueuse, pour finir en apothéose avec un moment de grâce inouï ( l’interview, la rencontre, l’impression de rentrer dans l’intimité de l’artiste). Cela a été un réel plaisir de lire tout l’article tout en ignorant beaucoup de choses.
    Félicitations à toi Bruce pour l’article et les rencontres.

    • Bruce lit  

      Un moment de grâce : le mot n’est pas usurpé, oui. Pour en revenir à ce que je répondais à Surfer, voici le genre de passion que Gainsbourg peut susciter 30 ans après sa mort. La question que je n’ai pas osé poser à Aude : aurais-je pu devenir l’ami de Serge Gainsbourg ?

  • Tornado  

    Un grand merci pour ce billet. Je l’ai lu en prenant bien mon temps et je vais le relire encore. Je reviendrai commenter plus tard. Encore merci.

  • Eddy Vanleffe  

    Je ne pense pas au grand jamais avoir eu une admiration aussi « absolue » confinant à la dévotion sur quelque artiste que ce soit.
    Quelque part, d’ailleurs je ne vous envie pas tellement, une partie mon esprit conçoit une aversion à dépendre d’autre que moi-même.
    J’ai toujours trouvé bizarre cette fascination pour des êtres comme Gainsbourg, dont la poésie ne me touche pas plus que ça (en fait techniquement j’ai horreur de cette manie qu’il avait de couper les mots en deux entre deux vers).
    Génie, c’est un titre que j’ai du mal à décerner.
    Je connais très bien John Lennon, Macca, Renaud, Thiéfaine et tous ceux qui me sont importants pas seulement dans le domaine de la musique, je pense à Desproges, Claremont, Rumiko (la seule dont j’ai rêvé la rencontre-elle me racontait l’histoire de son prochain manga…)

    J’en reparlais pas plus tard qu’hier en famille. Avec les souvenirs enjolivés et les fous rires, ma fille est persuadé que nous avons vécu la meilleure époque avec les meilleurs artistes
    Le flot continu des décès depuis quelques années fait qu’effectivement nous ne pouvons rester insensibles à des instants ou des souvenirs associés à certaines chansons, émissions ou artistes qui nous ont forcément marqué.
    Et je faisais la réflexion que lorsque le tour viendrait pour l’un de ceux dont dont l’œuvre ont vraiment signifié quelque chose de particulier, comment réagirais-je vraiment ?
    Cette idée a beaucoup surpris ma femme pour qui l’aversion des people est viscérale…
    Néanmoins sans vivre dans l’idolâtrie aveugle, je ne peux m’empêcher de redouter ces deuils « à distance », je crois d’avantage pour cette inéluctabilité et cette vague impression qu’à chaque artiste de moins en moins appartenir ici bas.

  • Tornado  

    Je n’ai jamais connu Gainsbourg, et pourtant, il y a un petit quelque chose au fond de moi qui l’a toujours considéré comme un de mes meilleurs amis. Et je parle des amis proches ! C’est dire combien un tel article me conforte dans ce ressenti personnel et inviolable. Lio est une connasse. Une SJW qui surfe sur le mouvement. Il faut vraiment être borné pour ne pas lire le témoignage bouleversant de ces deux nanas plus haut.
    J’ai passé toute ma jeunesse à côtoyer des alcooliques et des « loosers magnifiques ». Des artistes, des musiciens, des bons vivants qui cultivaient leur désir de fuite de ce monde de fous dans l’autodestruction. Je vois très bien comment pouvait être Gainsbourg avec ces filles et avec les gens de son entourage (je connais la plupart des témoignages accessibles quant à son comportement avec les stars (ils détestaient quasiment tout le monde dans le milieu) et les petites gens du commun (il adorait quasiment tous les gens de son quartier et s’arrangeait pour en fréquenter un maximum au quotidien). Je vois bien ce qui se cache derrière les allusions à ces « quelques moments sordides » que j’ai pu également rencontrer avec les gens dont je parle juste au-dessus : Ces moments où les conséquences de leur autodestruction les rattrapent physiquement et mentalement (au hasard ramasser quelqu’un dans sa pisse ou son vomi, le coucher en l’entendant hurler sa peur de devenir une loque humaine ou de crever, faire face à des hallucinations ou à un delirium tremens, assister à une bagarre d’ivrognes pathétiques et des insultes abominables que les personnes regrettent le lendemain en chialant, etc.).
    Mais lisez bien cette interview : Gainsbourg avait avant tout un respect inviolable pour l’intégrité de ces deux gamines. Et ça, il est quand même hors de question de laisser quelqu’un le mettre en doute et faire du révisionnisme dégueulasse.
    Gainsbourg le Weinstein de la chanson française ? Quelle blague ! Il séduisait les femmes parce qu’il avait du charme. Toutes les femmes à qui il a écrit des chansons n’ont pas été obligées de coucher avec lui. Sur ce coup Lio raconte un mensonge pour se faire mousser. Connasse.

  • Présence  

    Fréquenter Gainsbourg vous expose à de terribles représailles dans vos écoles respectives. Bien avant les réseaux sociaux, on vous traite de putes (dans le meilleur des cas).

    Ne pas mettre en difficulté ces deux personnes qui ont suffisamment morflé, encore aujourd’hui, d’avoir connu Serge Gainsbourg. […] Honnêtement le prix à payer a été terrible avec menaces, diffamation et harcèlement.

    Punir Aude et Anne de connaître Gainsbourg : leur cracher à la gueule, laisser des graffitis, menaces de mort : on est dans l’exécution sociale de deux personnes qui accèdent à de l’extraordinaire et à qui on fait payer.

    Interview très intéressante et très touchante. Je tombe également des nues en découvrant un acharnement aussi haineux et méchant.

  • JP Nguyen  

    C’est une jolie histoire.
    Je reste assez hermétique à l’adulation que Bruce a pour Gainsbourg mais cet article est un témoignage touchant sur la personne qu’il pouvait être hors scène.
    Je suis content que le blog et FB te permettent de faire de telles rencontres.

    • Bruce lit  

      @JP et Eddy
      Je ne me sens pas si adulateur. Il y a des albums de Gainsbourg que je déteste. Ses albums reggae c’est clairement de la merde pour mes oreilles. Les deux derniers Funk sont assez paresseux au niveau des textes, loin de la poésie des chansons écrites pour Jane. Les seules que je sauve sont le merveilleux SORRY ANGEL et AUX ENFANTS DE LA CHANCE qui est son testament musical. D’apprendre qu’il l’a écrite pour ses enfants de substitution, Aude et Anne m’a touché.
      Je garde mon esprit critique, suis capable de discerner chez lui l’artiste de l’opportuniste, le génie du connard qu’il pouvait être comme tout à chacun. Je n’ai pas été me recueillir ni sur sa tombe ni fait le mur de la rue de Verneuil. Je me sens plus attentif au personnage que fanatique. Mais par contre, je revendique la part de fascination romanesque. J’aime les grands destins oui, colorer sa vie d’extraordinaire c’est bien non ?

  • Tornado  

    Ah la la… Tous ces gens qui cherchent la perfection chez les peoples…
    Bon alors j’ai un scoop : Gainsbourg était un être humain = il n’était pas parfait…

    Et sinon pour revenir à l’interview, le passage qui m’a le plus touché a été celui où on apprend que Gainsbourg a écrit AUX ENFANTS DE LA CHANCE, clairement l’une de ses plus belles chansons de sa période funk, pour ces deux petites copines. L’anecdote où Aude aide Serge à écrire la chanson est juste merveilleuse !

    Je garde de cette lecture une sensation extrêmement agréable : On comprend parfaitement pourquoi autant de gamins l’adoraient à l’époque (j’avais dix ans quand je me passais en boucle l’album AUX ARMES ETC. sur la platine de mes parents). Gainsbourg était un jeune ! Il était éternellement jeune. Qui peut en dire autant ? Garder une telle jeunesse d’esprit, qui lui permet de communiquer avec autant d’aisance avec des enfants, c’est magnifique (on se souviens de l’interview d’Alex Syndrome).
    Je me souviens de l’époque où j’ai commencé à écouter tous ses albums, au lycée. Il y avait clairement en France deux clans, un POUR et un CONTRE Gainsbourg. C’est là que j’ai décidé de tout prendre chez lui, le bon comme le moins bon. Comme le dit Bruce à partir de là ce n’est pas de l’idôlatrie, c’est de l’admiration sincère, en ayant conscience que personne n’est parfait.

    Toutes ces anecdotes m’ont également rappelé un souvenir : Avec des copains, au collège, on faisait le mur entre midi et deux et on avait pris l’habitude de s’incruster dans une propriété pas loin de l’école. On y avait trouvé une petite clairière secrète au milieu d’une gigantesque roseraie. On y venait tout le temps. Un jour on s’est fait choper par le gardien avec son chien. Au départ c’était hyper tendu. Et puis comme il a vu qu’on était des bons gamins, il s’est mis à discuter avec nous. Il nous a permis de revenir quand on voudrait. Et pendant des mois, on est venu tenir compagnie à ce vieil homme seul…

  • Kaori  

    Qu’elle est touchante, cette interview…

    Pour ma part, je ne perçois pas d’idolâtrie dans les questions de Bruce, juste une très grande connaissance du personnage.

    Je suis touchée de savoir que AUX ENFANTS DE LA CHANCE, qui est une de mes chansons préférées, a été écrite pour Aude et Anne… Quelle histoire, quel honneur !

    Je ne m’étonne pas de tant de haine à leur égard… La jalousie, la haine, face à une situation qu’on ne peut pas considérer comme normale…

    Il y a plusieurs choses qui me questionnent… Comment ont pu réagir les propres enfants de Gainsbourg en les voyant si proches d’autres enfants, des étrangères ?
    Pourquoi était-il si malheureux, si seul, au point de n’être heureux qu’avec deux adolescentes ?
    Et bien sûr, comment en tant que parent, peut-on ne pas s’inquiéter de cette situation.

    Je ne reviendrai pas sur les déclarations de Lio. Anne et Aude sont à elles seules une preuve suffisante des inepties. Sans parler du manque de respect que cela implique pour les victimes de Wienstein !

    Bravo en tout cas, c’est touchant de voir se (re)créer une relation à travers Serge…

    • Bruce lit  

      @Tornado : tu as toujours de chouettes anecdotes. Very GRAN TORRINO.
      Comme je le signifiais à Aude lors de notre repas, je n’aime pas les 4 derniers disques de Gainsbourg. Rien en Reggae, direct poubelle, quelques titres Funk que j’ai cités. Tout d’abord parce que je déteste ces musiques avec ou sans lui. Ensuite, parce qu’elles ne collent pas au personnage. Tu l’as écrits Tornado. Nul n’est parfait. Or Gainsbourg dans la vie comme dans son oeuvre cherchait la perfection. Rien n’était jamais laissé au hasard. Les albums Reggae et Funk c’est son producteur qui le drive. Il n’y connaissait rien, il n’écoutait plus la musique des autres à l’époque.
      Le Reggae est une musique de branleur. Or Serge était tout sauf un branleur. C’est en le devenant qu’il devient moins exigeant avec son oeuvre et paradoxalement plus populaire. Il n’y a plus d’arrangements, ses textes sont recyclés et très faiblards, non je préfère ses contributions pour Charlotte et Jane.
      TOrnado, à quand un article sur ses films ?

      @Kaori
      Les propres enfants de Gainsbourg : Paul et Natacha / Gainsbourg n’avait pas l’autorisation de les visiter. Sa femme était complétement cinglée. Il en résulte qu’ils ont grandi avec interdiction de voir leur père, Serge étant juste bon à payer la pension alimentaire. Aude raconte que ça le rendait malade. Elle l’accompagnait à la banque lorsqu’il faisait ses mandats.
      Lulu était un bébé.
      Charlotte et Jane les toléraient apparemment. Bambou les détestaient. Pendant les funérailles Aude était parmi les anonymes, pas parmi les VIP..

      Gainsbourg disait n’être pas capable d’être heureux. Il invoquait sa laideur physique. Je crois tout simplement qu’il y avait inadéquation entre sa grande sensibilité et la violence du monde. Il avait à mon sens aussi un don pour l’autodestruction.

      Les parents de Aude et Anne apparaissent dans le livre. Ils tolèrent puis interdisent les visites chez Gainsbourg. En ce qui concerne Aude ce qu’elle vit à la maison est suffocant avec son père alcoolique et dépressif, ses parents qui se déchirent. C’est l’objet de ma question « Tu décris avec beaucoup d’honnêteté une enfance malheureuse et incomprise. Pourquoi aller chercher chez Serge ce que tu fuyais chez ton père, également alcoolique et autodestructeur ? »

      • Kaori  

        Merci Bruce.

        Peut-être une part de jalousie de la part de Bambou ? C’est un personnage que je n’ai jamais cerné, ni apprécié, de ce fait. Un grand mystère pour moi.

        Pour ma question, j’avais bien vu la tienne, mais j’oubliais aussi que les temps étaient aussi différents. Peut-être qu’on autorisait plus de choses, qu’on s’inquiétait moins de laisser sortir nos adolescents… De nos jours, ça ferait effectivement grand scandale.

        Je vois bien ce que tu veux dire par inadéquation entre grande sensibilité et violence de ce monde… Un peu comme Kurt Cobain, Layne Staley, non .. ?

        • Bruce lit  

          Oui tout à fait bonne analogie.
          Ajoutons-y Jim Morrison, Amy Whinehouse ou Chris COrnell.

          • Kaori  

            Je ne connais rien de Jim Morrison et je n’ai jamais pu encadrer Amy Winehouse ^^; mais oui, pour Chris Cornell, je te rejoins…

            PS : moi aussi je déteste le reggae 😉

  • Surfer  

    @Bruce

    Ma compagne ne s’appelle pas Madame 5 doigts, pourtant je ne suis pas insensible au Reggae !

    Et heureusement je ne suis pas le seul :
    John Lennon a repris MANY RIVERS TO CROSS de Jimmy Cliff et VIETNAM du même artiste a impressionné Bob Dylan !
    C’est une merveille musicale avec un message fort

    https://youtu.be/OChrbIR6oHs

    C’est un genre musical que je n’écoute plus actuellement mais je me repasse des standards des années 70 avec beaucoup de plaisir.

    • Bruce lit  

      Alors…
      Je déteste le reggae, cette musique m’horripile depuis toujours, son Tsoink Tsoink me rend dingue voire violent en soirée, je suis capable de me barrer de chez mes amis s’ils m’infligent cette *****
      Pour autant je ne déteste ni ceux qui la font et encore moins ceux qui l’apprécient. L’influence du Reggae sur l’histoire du Rock est évidente notamment chez les Punks. Il y a des morceaux rock reggae dont j’apprécie le métissage. Mais je maintiens le terme « branleur » sans y voir une connotation haineuse : c’est une musique décontractée, enfumée, relax et légère (même si politique par moment hein…).
      L’inverse de ce que je cherche chez mes Junkies : la musique qui me parle est celle de la mort, de la tristesse, de la violence, de la peur.

      • Surfer  

        « L’inverse de ce que je cherche chez mes Junkies : la musique qui me parle est celle de la mort, de la tristesse, de la violence, de la peur. »

        Ho la la !!!! 🙁
        Effectivement on n’a pas la même conception de la musique.
        Bon, tu sais quoi, notre échange aura eu l’avantage de me faire sortir de chez moi pour aller courir en forêt avec un casque et de la musique gaie plein les oreilles.
        J’aime trop la vie et je veux en profiter au maximum:
        Ma came a moi c’est le sport et mon essence pour avancer c’est la musique

      • Patrick 6  

        La blague du jour :
        Que dit un Rasta quand il n’a plus de shit ?
        « Hey c’est quoi cette musique de merde ?? »
        Bon je sors.

  • Lulu  

    C’est la deuxième fois que vos interviews me bouleversent. Vous avez un tact et une aisance rares pour faire accoucher les gens de leurs vérités. Il en faudrait plus comme vous dans les médias.
    Serge Gainsbourg aurait adoré parler avec vous.
    Bravo.

    • Bruce lit  

      Que dire, si ce n’est d’être ému que vous le soyez. Je suis très honoré de voir que mon approche suscite autant de respect. Merci.

  • Patrick 6  

    Une fort belle interview tout en finesse. Well done Bruce !
    Quelle histoire ! Des gamines qui captent le code pour que Gainsbourg vienne ouvrir et qu’une vraie relation amicale s’en suive est tout simplement incroyable ! Effectivement de nos jours ce genre d’histoire ne pourrait pas arriver sans que Lio et ses sbires s’emparent de cette histoire et jettent en pâture l’artiste (et les jeunes filles) sur les réseaux sociaux … Au final je vois que les deux protagonistes n’en sont nullement traumatisées et au contraire ont un très bon souvenir de leur histoire hors du commun. Comme quoi…

    A titre personnel je suis loin d’être fan de Gainsbourg même si je suis obligé de reconnaitre que sa contribution à la musique française (aussi bien Variété, Rock que Reggae…) est immense.
    Dans les années 80 avec son air crado et toujours la clope ou le verre à la main c’était un peu un Punk pour le jeune garçon que j’étais !

    • Bruce lit  

      @Patrick : il existe un livre de Constance Meyer qui du haut de ses 17 ans vient toquer à sa porte pour entamer une relation sexuelle. C’est une dimension qui pour le coup ne minteresse pas du tout et qui, puisqu’il s’agit d’un libre choix entre deux individus ne me choque pas non plus.

  • Eddy Vanleffe  

    J’ai quand même envie de me faire l’avocat de Lio.
    Quand elle compare Gainsbarre à Weinstein ,c’est évidemment une exagération qui n’a aucun fondement réél. C’est une formule pour pouvoir énoncer l’idée que cette » pygmalion, groupie culture », c’était fini! qu’elles ne se laisseront plus écrire des chansons pour émoustiller le puceau au détriment de leur image.
    Quand les deux adolescentes rendent visite à Gainsourg, elles en souffrent et se font insulter… Pute est le mot qui revient.
    le vieil homme n’y est pour rien mais le monde leur fait porter la faute. Une faute imaginaire.

    L’affaire des « sucettes » est d’ailleurs un détail clivant, pour tout le monde. Dans son film Sfar préfère écrire une histoire légendaire, éloignée du réél. il ré-imagine donc un dialogue où l’auteur et l’interprète semblent de mettre d’accord pour faire chier le père. Une version du mythe à postériori plus consensuelle à même de ne choquer personne, obéissant au même reflexe moraliste qui a amené George Lucas à modifier le montage de Star Wars pour que Han Solo ne tire pas le premier contre un contrebandier atténuant son ambiguïté morale et donnant naissance au meme « Han shot first! ».
    Ce film montre bien ce besoin d’éluder cette chanson alors que dans les faits France Gall chante un duo avec Maurice Biraud bien plus craignos. c’est une chanson que notre époque n’assume plus (et qui d’ici dix ans disparaitra des compils…)
    Au passage j’attends ce fameux article sur les chansons de France Gall qui sont mes préférés du bonhomme.
    Plein de questions se posent à présent et Lio ne trouve pas normal ni sain cette façon dont des misogynes parviennent à fasciner des femmes et en nombre justement.
    plus loin dans son intervention, elle cite à quel point le buisness n’a aucune pitié pour ces femmes qui l’ouvrent et à quel point on lui avait fait payer son engagement contre Cantat surprotégé du « tout-Paris ». c’est cela et cette complaisance qui doit cesser. Je suis moi même fan de Thiéfaine mais sa chanson de soutien au meurtrier m’a fait vomir.
    Gainsbourg est un symbole, un idole. la contre culture aujourd’hui veut démonter ce genre de postérité. Tuer le père. il représente ce qu’elles ne veulent plus voir. Un modèle qui doit cesser de l’être. avec de la casse « collatérale dont on ne peut plus détourner le regard.
    le seul faux pas, est sans doute de venir pourrir sa mémoire. Je comprends ce que veut dire Lio, Gainsbourg était la statue qu’elle a choisie…pas très juste mais elle a du penser que c’était de bonne guerre.
    Aujourd’hui on déforme souvent la « saillie » contre Whitney Houston comme LA remarque misogyne par excellence, un pièce au dossier.
    on oublie tout à fait le contexte historique et social d’un époque pas mondialisée du tout. A l’époque la France était hilare de voir le « petit génie local » connu pour ses provocations dézingue une « grande star » internationale américaine. l geste était frondeur et limite social. On s’en foutait que cela impliquait une femme.
    Mais allez expliquer ça aujourd »hui.
    L’époque change et pn se réveille chaque jour plus étranger.
    Je m’y fais petit à petit tout en espérant pouvoir trouver un refuge et m’isoler à jamais.

    • Tornado  

      @Eddy : Tu ferais un excellent avocat. Mais j’ai beau tourner cette analogie Gainsbourg/Wenstein 777 fois dans tous les sens, je la trouve atroce. Un artiste de sa dimension et un homme de son exception ne la mérite vraiment pas. C’est aussi simple que ça pour moi. Est-ce qu’on peut comparer Hitler et Louis de Funès ? Pour moi c’est au moins aussi absurde.

      • Eddy Vanleffe  

        J’ai un gros problème. dès que je lis un point de vue je pense au contraire. ^^
        Perso, je trouve l’analogie totalement fumée because on ne peut pas comparer viol et beauferie lourdingue… ou même assimiler misogyne et patriarcat… (pas mal de mecs dans ce cas, sont pas dominants, mais malheureux…)
        Mais en revanche je l’attendais, quand tu pense à un mec connu qui limite-imite en France, Gainsbourg arrive rapidement dans la liste. mais j’airais pensé à sa fille, comme quoi…
        il me semble aussi que Lou Doillon a sous entendu que sa mère avait limite développé un Stockholm…
        Bref tout ça pour dire, que dans le tumulte actuel, il est normal que le grand Serge soit remis en question.
        Les années à venir nous réservent sans doute bien plus de surprises désagréables…

    • Bruce lit  

      Non Eddy, vraiment….
      -Weintsein a violé, torturé et fait chanter des MILLIERS de femmes. Des Milliers ! Il avait mis au point une mafia du sexe asservissant actrices avec le silence des acteurs et des producteurs.
      – On a pas le droit de confondre un criminel avec un mec lourd, un violeur en série avec une alcoolique qui dit et fait des conneries, on ne peut pas comparer un bandit avec un gredin. Tout était caché, dissimulé, quand les conneries de Gainsbourg avait le mérite d’être publiques. On est dans une époque de liberté incroyable, qui se rappelle aujourd’hui des playmates de Collaro et sa vulgarité beauf ? Des boobs à 19h00 sur une chaîne publique ? Je ne regrette pas hein…mais remettons les choses dans leur contexte : Ringer humilie publiquement Gainsbourg en le traitant de dégueulasse, Whitney aurait eu raison de lui foutre une baffe et on serait passé à autre chose.
      Quant à l’engagement de Lio téléguidé par la famille Trintignant, elle le paie comme toute personne qui s’engage dans ce pays pour une cause et une autre. En outre, elle ne s’est pas gênée pour demander la tête de Cantat. Je t’invite si ce n’est déjà fait à découvrir la version du frère de Cantat assez dérangeante qui dénonce l’hallali médiatique autour de cette affaire. https://www.youtube.com/watch?v=Y4Em3Vfq9pI
      Je n’ai rien contre la personne, Lio m’étant assez sympathique, mais là ses propos sont révoltants et relèvent de poursuites étant donné qu’elle ne s’appuie sur aucun fait, aucune preuve, aucun témoignage et encore rien d’écrit.

      Je précise que j’ai déjà rencontré Bertrand Cantat, que je n’ai aucune estime pour lui, ni pour sa musique, que je trouve son acte barbare et sa défense minable. Son silence me convient très bien. Celui de Lio aussi.
      (VOix de Jean Pierre Fangin) : Bisous…

      • Eddy Vanleffe  

        On est d’accord, rassures-toi on est d’accord Comparer les deux, c’est over the top.
        l’image de Weinstein est un symbole, Tornado parle d’Hitler, en l’etat personne ne devrait être comparé à lui, même les dictateurs, parce qu’il y une différence d’échelle qui banalise le nazisme finalement. pourtant on le fait tout le temps.
        Je ne crois pas qu’elle a mesuré son propos.
        un truc m’étonne, c’est que je n’ai pas plu de réponse du clan Gainsbourg, le silence est une forme de décence.
        le combat féministe aujourd’hui a cela qui joue contre lui, c’est de mettre toujours les potards au max. ainsi la drague de rue et Ted Bundy, c’est la même chose. il y aurait beaucoup à dire dans ce domaine.
        je pense que Lio est aigrie, mais bon je n’ai pas trop envie de la condamner pour ce qui n’est jamais qu’une opinion.
        pas de suite depuis… enfin si sur internet, mais ça ne compte pas vraiment.

  • Matt & MAticien  

    Magnifique moment où l’intimité s’expose sans se dénaturer. Merci de l’avoir partagé.

    C’est sans doute dans la marge de la vie de Gainsbourg que ces deux femmes ont grandi et l’on peut-être aidé à vivre sa parodie. Une marge où était peut-être concentrée plus de réalité que dans le reste des journées du vieux routard.

    Un jeu de pesanteurs et d’ apesanteur qui les a laissé orphelines sans doute et lui très seul.

    • Bruce lit  

      Wow ! Quelle inspiration ! Merci Matt. Good to have you back

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