C’était Mieux Avant…(1985)

Marvel 1985, par Mark Millar & Tommy Lee Edwards

1ère publication le 16/12/16- Mise à jour le 07/02/21

Par : TORNADO

VO : Marvel

VF: Panini

Mark Millar, c’était mieux avant ?  ©Marvel Comics /©Panini Comics

Je suis né dans les années 70. J’étais encore gamin dans les années 80. C’était la décennie de mon adolescence. Je ne peux pas dire que j’ai aimé être un ado. Je pense même que j’ai cordialement détesté cet âge ingrat, où l’on est bête comme ses pieds et où, en plus, on ne parvient pas à trouver sa place dans le monde à force de ne plus être complètement un enfant, et de ne pas être encore un adulte du tout.

Pourtant, quand j’y repense, j’arrive à trouver des bons souvenirs à sauver de cette période. Pire encore, certains ont façonné l’adulte que je suis aussi sûrement que deux et deux font quatre…
Parmi ces souvenirs exclusifs, j’en retiens principalement deux. Oh ! non ! Il n’y a pas de filles dans ces souvenirs. Mes expériences amoureuses remontant à mon adolescence ne valent rien, il n’y en a quasiment pas ! Et c’était bien le drame d’ailleurs ! Il faudra attendre des années avant que je comprenne comment ça marche les filles, et que je commence à trouver un moyen de les séduire…
Du coup, pour tuer le temps, je faisais comme les autres ados mélancoliques : Je lisais des BDs. Et pas mal de comics (Strange, Titans, Nova, Spidey, ainsi que les albums de l’Araignée, des X-men et des Quatre Fantastiques, que je collectionnais en les commandant à LUG). Et quand je ne restais pas chez moi à lire des comics ou à regarder des VHS, je partais en vadrouille avec les copains.

Ces souvenirs là sont vraiment les plus chouettes. On arrive encore à les capturer lorsqu’on regarde des films comme Les Goonies , Ça , Explorer ou Stand By Me. Et même avec des productions plus récentes comme Super 8  ou Stranger Things, qui tentent précisément de jouer sur cette nostalgie si particulière qui parle de l’enfance au cœur des années 80.
A croire que c’était magique d’être un gamin à cette époque là…

Des escapades d’ado, avec un adulescent aussi…

Des escapades d’ado, avec un adulescent aussi… ©Marvel Comics

Oui, c’était assez magique. Et ces escapades constituaient les rares moments où l’on existait enfin par soi-même. Pour soi-même. Quelques plages de libertés dans un monde aliénant.
Pour le coup, avec mes potes, on faisait tout pour que ces moments là existent le plus souvent possible. Alors l’hiver, lorsque la nuit tombe vite et que l’on peut ainsi passer inaperçu aux yeux des adultes, on se retrouvait autour de 17h, après l’école, et on profitait de cette plage de liberté pour partir à l’aventure !

Comme on ne pouvait pas aller bien loin, l’aventure devait se trouver au coin de la rue ou, au pire, dans un quartier voisin. Ainsi, nous nous amusions à entrer chez les gens par effraction. Non pas pour voler quoique ce soit, mais par goût de la découverte, pour le goût du risque et de l’adrénaline ! A cette époque, il y avait également tout plein de maisons abandonnées, plus ou moins délabrées (c’est devenu très rare dans le sud de la France où, aujourd’hui, la moindre parcelle de mètre-carré s’arrache à prix d’or !). Alors nous nous faufilions à l’intérieur de ces propriétés mystérieuses et effrayantes, en quête de peurs et de mystères… Qui sait ? Peut-être allions-nous y trouver quelques merveilles ? Quelques fantômes ou même quelques créatures fantastiques ?

Que peut bien cacher une maison abandonnée ?

Que peut bien cacher une maison abandonnée ?©Marvel Comics

Je me souviens que nous avions découvert une grande maison totalement abandonnée mais encore entièrement meublée, avec des tas de choses à l’intérieur qui traînaient partout. Des bibelots en tout genre et des affaires de toute sorte. Comme nous étions convaincus que la maison était hantée (comment aurait-il pu en être autrement étant donné que les habitants avaient disparu sans rien emporter, comme dans le film Amytiville ?!!!), nous n’osions pas toucher à quoique ce soit de peur d’attirer sur nous la malédiction ! Je me rappelle que nous étions terrifiés car il y avait du vent au dehors et que les fenêtres étaient ouvertes. Lorsque le vent soufflait, les fenêtres restaient immobiles. Mais voilà qu’elles se mettaient à bouger dans un abominable grincement alors que le vent s’arrêtait ! Nous partions alors en courant en dévalant les escaliers en direction de la sortie, et le dernier (le moins rapide de la file) était le plus terrifié, craignant que la maison ne se referme sur lui et qu’il y reste prisonnier, à jamais (pfiou… j’en tremble encore, vu que c’était moi le moins rapide. Et c’est devenu un cauchemar récurent qu’il m’arrive encore de faire…) !

Ainsi, notre imagination débordante semblait faire bouger les choses entre deux rafales de vent. Et là, lorsque nous sortîmes miraculeusement indemnes de la maison du diable, nous jurâmes voir bouger une silhouette derrière le rideau de telle fenêtre, à l’étage de l’imposante bâtisse. Oui, un peu comme cette séquence d’ouverture dans le Marvel 1985 de Mark Millar, où le jeune Toby est persuadé d’apercevoir l’inquiétante silhouette de Crâne Rouge qui le regarde de manière menaçante, avant de disparaître…

Z’ai cru voir un grominet derrière le rideau de la maison !

Z’ai cru voir un grominet derrière le rideau de la maison ! ©Marvel Comics

S’il y a un domaine dans lequel le scénariste Mark Millar excelle, c’est bien celui qui consiste à imaginer des concepts inédits. Ultimates , Civil War, Superman Red Son, Wanted, Old man Logan... Ses prédispositions en la matière en imposent.
Marvel 1985 n’échappe pas à cette catégorie et participe d’une œuvre postmoderne qui culminera avec le célèbre Kickass .

Le pitch : Nous sommes en 1985. Toby, un adolescent de treize ans, fan de comics Marvel, passe le plus clair de son temps entre le comic shop de son patelin et les quatre murs de sa chambre à coucher. Là, il lit le grand crossover de l’époque (celui que je dévorais, lorsque j’avais le même âge, dans les pages de Spidey, dont j’attendais chaque exemplaire bien plus ardemment que la venue du Messie) : Secret Wars !
Toby souffre du divorce de ses parents et s’évade dans ses lectures. Un jour, il découvre que les super-héros -et surtout les super-vilains- imaginaires de l’univers Marvel sont arrivés dans le monde réel à travers une vieille maison délabrée. Mais est-il le seul ? Est-il le premier à les voir ?

Yes ! Le nouvel épisode de Guerres Secrètes !

Yes ! Le nouvel épisode de Guerres Secrètes ! ©Marvel Comics

Cette invasion de super-vilains au cœur de notre monde réel prend bientôt des proportions apocalyptiques, au moment même où l’existence de Toby est entrain de basculer, puisque son beau-père, avec qui il ne s’entend pas tellement, est sur le point d’accepter un poste en Europe. Toby ne verrait alors plus son père, la personne dont il se sent le plus proche (c’est d’ailleurs lui qui lui a communiqué sa passion pour l’univers Marvel !).

C’en est trop pour Toby, qui décide de fuguer en s’enfuyant dans la forêt. C’est alors qu’il tombe nez à nez avec Hulk, bientôt rejoint par le Fléau, comme si les deux créatures s’étaient soudain échappées d’un épisode de Secret Wars pour débouler dans le Maine !

Etrangement, Jerry, le père de Toby, semble percevoir l’origine de ces phénomènes surnaturels. Il se tourne alors vers ses souvenirs d’enfance, au début des années 60, à l’époque où il fréquentait son meilleur ami, Clyde, le fils du propriétaire de la mystérieuse maison abandonnée. Celui-ci collectionnait tous les comics qui étaient publiés en ce début des 60’s, soit les premiers et historiques comics Marvel. Aujourd’hui, Clyde est interné dans une sorte d’auspice, car il a été victime d’un accident lorsqu’il était enfant. Un accident auquel Jerry aurait assisté…

Faute de ne pas pouvoir continuer sans gâcher le suspense et les nombreuses révélations qui constituent le sel de l’intrigue, je n’irai donc pas plus loin…

Hulk pue !

Hulk pue ! ©Marvel Comics

Beaucoup de lecteurs de comics, aujourd’hui, ont grandi avec les mêmes lectures que Toby (un certain Mark Millar par exemple). De nos jours, ces lecteurs (tel votre serviteur) sont devenus à leur tour des parents qui continuent d’entretenir la flamme de l’enfance au cœur de leur vie d’adulte. Des geeks, quoi ! Et c’est précisément à eux que s’adresse cette minisérie.

Deux ans avant Kickass, Millar commence à explorer sa thématique de l’héritage culturel populaire à travers l’évolution des comics. Il est d’ailleurs amusant de constater que son culte pour les premiers magazines de l’âge d’argent et de l’univers des super-héros Marvel lui serve déjà de mise en abîme narrative et nourrisse son travail sur la postmodernité. Ainsi, dans certains épisodes, on retourne en 1964 au cœur de l’enfance de Jerry, que l’on voit lire les comics en question. Un véritable thème récurent, que l’on retrouvera dans la première saison de Kickass avec le contenu de la fameuse valise du père de Hit Girl.
Ce travail sur la postmodernité trouve son essence dans le passage entre la fiction et le réel, véritable thème sous-jacent, ici encore en ébullition. Pour l’anecdote, Millar souhaitait d’ailleurs que Marvel 1985 soit au départ un roman-photo (littéralement), afin de donner un maximum d’authenticité à son concept. Une volonté de faire sortir le medium de son enveloppe originelle, afin de le réinventer sous une nouvelle ère, en préservant ses richesses, tout en renouvelant la manière de les mettre en œuvre, avec des thèmes neufs si possible.

Saluons également le talent de narrateur du scénariste, capable de dépeindre le réalisme social dans lequel évolue le jeune Toby en à peine quelques pages, sans fioritures, trouvant toujours le ton juste.
Le ton juste, notre scénariste saura également le trouver en imaginant une histoire qui ravira autant le geek amateur de 1° degré, avec crossover et autres bastons décomplexées, que le lecteur plus exigeant friand de scénarios à sous-texte et lectures multiples ! Et comme d’habitude, Millar saura terminer son récit de brillante manière, non sans une note poignante d’émotion et de mélancolie.
Par contre, le bonhomme succombe à son penchant pour la provocation et le mauvais goût en insistant par exemple lourdement sur la puanteur de Hulk, détail gratuit qui n’apporte pas grand-chose, sinon une petite touche de glauque qui n’était pas nécessaire…

Your friendly neighborhood spiderman !

Your friendly neighborhood spiderman ! ©Marvel Comics

Sur l’essentiel des six épisodes de la mini-série, le style de Tommy Lee Edwards n’a rien à voir avec les illustrations habituelles de super-héros. Il n’y a que lorsque Toby passe dans la Terre 616 (le monde Marvel officiel) que le dessin se transforme afin de ressembler vaguement à un comics de super-héros des années 80, où le monde fantasmé se révèle plus lumineux et plus épuré que le monde réel. Mais pour le reste, le trait du dessinateur est réaliste et rugueux, dicté par une orientation naturaliste. Il s’agit bien évidemment d’une volonté des auteurs de manifester l’évolution du public visé ici. En effet, on pense beaucoup à l’univers adulte et plus « intello » du label Vertigo (Edwards aurait pu dessiner Scalped , par exemple), histoire de signifier que les lecteurs de l’époque, aujourd’hui adultes, ont su évoluer et ne sont pas tous, comme on pourrait le croire, des adulescents attardés et décérébrés. Mais juste des nostalgiques de l’enfance…

Y a même Galactus !

Y a même Galactus ! ©Marvel Comics

Tommy Lee Edwards participe par ailleurs à cette ambiance à la Stephen King , si caractéristique de cette époque. Cette atmosphère de petites villes de province américaine des 80’s (la plupart des œuvres du King se déroulent dans le Maine, sa région natale) pénètre dès la première page dans l’inconscient du lecteur et participe du voyage dans le temps façon « Madeleine de Proust ». Sauf que, au rayon des descriptions olfactives, on a juste droit à la puanteur de Hulk !
Millar nous offre ainsi une forme d’hommage doublement référencé, puisqu’il nous invite à retrouver nos souvenirs de lecture de comics, mais également ceux des récits de Stephen King, dont il livre ici une itération puisque le thème de la fiction qui prend vie dans le réel est l’un des thèmes majeurs du créateur de Stand By me. Et c’est donc bien d’héritage que nous parle Marvel 1985, d’un héritage de la culture populaire dont l’histoire peut se lire entre les pages des comics et des récits de genre.

Mark Millar est donc bel et bien un auteur postmoderne dont les thèmes, à ce stade de sa carrière, ne font rien d’autre que de parler de postmodernité. Cette notion est plurielle, mais pour résumer, vous pouvez imaginer un best-of du passé dont on reprendrait les éléments pour les réactualiser ensemble. Du neuf, avec un best-of du vieux, en somme. Dans ce sens, le thème de l’héritage coule de source et illustre parfaitement le cheminement intellectuel de ce mode de pensée.

Tremblez vilains, Toby a amené du renfort !

Tremblez vilains, Toby a amené du renfort ! ©Marvel Comics

Héritage, souvenirs… D’aussi loin que je me souvienne, ma France de l’époque n’était pas très éloignée de celle de cette série. Et comme je le disais plus tôt, il y avait bel et bien dans mon quartier de vieilles maisons délabrées et mystérieuses qui nous faisaient fantasmer, nous les enfants, dans un mélange de peur et de fascination.
En remuant tous ces souvenirs sous le vernis de cette brillante reconstitution des années 80, Mark Millar a donc su me toucher avec son histoire de super-héros Marvel à la Stephen King. C’était l’époque où je trouvais que tout ce que touchait cet auteur se transformait en or. Depuis, les choses ont changé. La source semble s’être tarie et, à tout le moins, la formule a fini par s’appauvrir. Le fond s’est de plus en plus effacé devant la forme, et l’écossais s’est trop américanisé, devenant un peu ce qu’il dénonçait à force de se prendre pour une star du blockbuster de papier.

Marvel 1985 a été publié en 2008. Il marque la fin de l’ère glorieuse des « Marvel Knights » (entre 1999 et 2007), où Marvel publiait du matériel d’une qualité exceptionnelle, sans précédent, pour un âge d’or dans lequel n’importe quel super-héros, aussi ridicule soit-il sur le principe, devenait le vecteur de magnifiques histoires pour les adultes. Des histoires intelligentes, profondes, intègres. Pour le coup, Millar, à l’instar de son compère Brian M. Bendis dont le trajet est similaire, semble s’être laissé emporter par le courant.
En tout cas, lorsque je vois l’état actuel de Marvel Comics, son marasme éditorial basé sur l’événementiel factice et la connexion opaque, les crossovers et les events foutraques, la régression infantile et fétichiste pour le fun aseptisé ; pour moi les choses sont simples : Marvel, c’était mieux avant…

Moi, j’ai les meilleurs potes au monde !

Moi, j’ai les meilleurs potes au monde !©Marvel Comics

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LA BO du jour : 

26 comments

  • Kaori  

    Une mini-série que je ne connaissais pas, et un article tout aussi intéressant que je n’avais jamais lu !
    J’ai vraiment beaucoup aimé cette plongée dans ton enfance et ton adolescence, Tornado !
    Quelle chance !
    Moi je suis plutôt comme Matt : jamais je n’aurais osé transgresser les règles ainsi ! Mes cousins s’amusaient à sonner aux portes et à s’enfuir, ou à faire des canulars téléphoniques. Mon oncle et ma tante se payaient des factures astronomiques ! Je trouvais ça juste bête et méchant…
    Mais c’est joli cette histoire avec le gardien…

    Pour en revenir au comics, ça me donne très envie de le lire !!

    • Jyrille  

      Fonce c’est super.

    • Tornado  

      Merci Kaori !
      Alors le coup de sonner aux portes avant de s’enfuir, je crois l’avoir fait plus qu’à mon tour… On n’est pas sérieux quand on a moins de 17 ans (et je devais en avoir moins de 10 pour le coup)… 😔

  • Eddy Vanleffe  

    Oui, Pour moi c’est un des quelques titres où le vrai Millar se revèle…
    Celui qui au lieu de faire le sale gosse gratuitement essaie d’expliquer quelle magie il y avait à une certaine époque alors qu’aujourd’hui il ne reste plus que des idoles salies à casser…
    Superior, 1985, même Jupiter machin chouette ou Stardust… il laisse voir une profonde tendresse pour l’enfance, la solitude et la marge…

  • Jeriba Shingan  

    Merci de me replonger dans ce comics que javais decouvert par hasard, suite à un dégâts des eaux chez mon libraire…il finissait de sécher dans un coin et je suis reparti avec pour 2 euros. Je fonce dans ma bibliothèque pour le relire !

    Ce comics résume bien ce que j’aime dans les oeuvres plus anciennes….Depuis le début des années 70, je lis des comics pour être « ravi » dans TOUS les sens du verbe : enlevé de mon quotidien, charmé, mis de bonne humeur et finalement touché/transformé. Et là, c’est vraiment un sans-faute. Je dois avouer que l’encrage et la colorisation me faisant parfois penser à « Dieu crée, l’homme détruit »…ça a grandement faciliter l’immersion !

    J’adhère peu aux productions plus contemporaines que je trouve mécanique (dans leurs idées comme dans leur écriture) et surtout cyniques et stériles….Une sorte de miroir formaté, désabusé et conformiste de notre société. Est-ce à cela que tu penses quand tu parles de « la régression infantile et fétichiste pour le fun aseptisé » ?

    Encore merci de me l’avoir remis dans les mains

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