Amour, ombres et cyclope (HELLBOY IN LOVE / LA NUIT DU CYCLOPE)

HELLBOY IN LOVE / LA NUIT DU CYCLOPE

Un article de JB VU VAN

VO : Dark Horse Comics

VF : Delcourt

Maudite Aphrodite
© Dark Horse Comics
© Delcourt

Un colis contenant deux albums Hellboy. Un message laconique : “Article.” La main tremblante, craignant pour ma santé et celle de mes proches, j’ouvre le premier livre : HELLBOY & B.P.R.D. tome 8, “La Nuit du Cyclope”, comprenant plusieurs one-shots et mini-séries US :  Hellboy and THE B.P.R.D.: Night of the Cyclops, coécrit par Mike Mignola et Olivier Vatine, illustré et mis en couleur par le même Viatine ; les 2 numéros de Hellboy and the BPRD: The Secret of Chesbro House écrit par Mike Mignola et son collaborateur régulier Christopher Golden, illustré par Shawn McManus et mis en couleur par Dave Stewart ; Hellboy and the B.P.R.D.: Old Man Whittier, écrit par Mignola, illustré par Gabriel Hernandez Walta ; et enfin le diptyque illustré par Mark Laszlo : The Miser’s Gift, issu de Hellboy Winter Special 2019, et sa suite, le one-shot Hellboy and the B.P.R.D.: Time is a River. Ouf !

Le contenu de l’autre album est plus simple à présenter : HELLBOY tome 19, qui contient la mini-série HELLBOY IN LOVE coécrit par Mike Mignola et Christopher Golden, illustré par Matt Smith et mis en couleur par Chris O’Halloran. Les 2 albums ont été publiés en 2024 en France chez Delcourt dans une traduction impeccable de Anne Capuron.

Un petit je-ne-sais-quoi de P. Craig Russel et d’Ulysse 31
© Dark Horse Comics

Hellboy vient de fêter ses 30 ans en 2024. Autant l’avouer, si j’ai lu les débuts du personnage, je n’ai pas ouvert un volume de ses aventures depuis 20 ans ! Et son univers a pas mal évolué, comme l’indiquent les titres des 2 séries principales : HELLBOY EN ENFER ou B.P.R.D : L’ENFER SUR TERRE… Mais les 2 tomes HELLBOY IN LOVE et LA NUIT DU CYCLOPE constituent une synthèse parfaite du personnage pour le nouveau lecteur ou celui frappé d’amnésie. Pas besoin de connaître l’historique du personnage, nous sommes directement plongés dans des aventures tirées du passé de Hellboy.

Commençons par l’anthologie LA NUIT DU CYCLOPE. L’album rassemble des récits (quasi-)autonomes. Au secours d’une communauté maudite de faunes en Grèce, découvrant les secrets d’une maison hantée, enquêtant sur les secrets d’une famille maudite ou affrontant les esprits qui hantent Budapest, Hellboy trimballe son corps d’armoire à glace sans être surpris de rencontrer des dieux antiques ou lovecraftiens.

Les belles histoires que l’on se raconte au coin du feu
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J’ai un peu l’impression que Mignola et ses coauteurs réécrivent des histoires classiques dont les protagonistes souffrent sans l’avoir mérité, en leur ajoute un héros qui vient sauver les victimes innocentes. Dans la Nuit du Cyclope, Hellboy défie des divinités grecques qui maudissent des humains pour les fautes d’autres dieux. Le Secret de la Maison Chesbro rappelle les récits de Shirley Jackson et d’Edgar Poe, mais ajoute un héros qui s’assure de la survie de la nouvelle venue. Old Man Whittier se déroule en Nouvelle Angleterre, région hautement lovecraftienne, et rappelle les rêves d’immortalité de l’Affaire Charles Dexter Ward, mais la victime potentielle du récit s’en sort vivante et sans sombrer dans la folie. Les 2 dernières histoires plongent le protagoniste dans les contes et légendes de Budapest, et sauve un vieux professeur grâce à une intervention divine.

Les récits sont courts et ne développent pas le personnage, creusent à peine son univers. Tout au plus, Old Man Whittier continue une courte histoire de 8 pages publiée en 2010. Mais c’est un peu la beauté de cet univers présenté de manière anachronique au lecteur. Le héros évoque des aventures qui ont soit déjà fait l’objet d’un récit, soit sont de potentielles futures publications.

Ce que cache le Beau Danube bleu
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Ces one-shots et miniséries sont plutôt l’occasion de servir d’écrin aux divers artistes invités. Notre Olivier Vatine national illustre et coécrit ainsi le récit qui ouvre ce recueil. D’ailleurs, c’est une spécificité française : le nom anglophone de l’album qui rassemble ces histoires est The Secret of Chesbro House. Petit chauvinisme franco-français ! L’artiste d’Aquablue apporte son trait européen, dynamique et mettant en avant les charmes féminins tant de la demoiselle en détresse que de la déesse Aphrodite. Pour le second récit, c’est le vétéran Shawn McManus qui donne son trait grotesque, déjà mis en œuvre dans DOCTOR FATE et CENDRILLON, aux habitants et esprits de la Maison Chesbro, qui perdent leur humanité au fur et à mesure du récit. Gabriel Hernandez Walta prête son style tourmenté, déjà vu dans MAGNETO ou AOKIGAHARA, à une histoire de malédiction familiale. Márk László propose dans les récits qui clôturent cet album un style plutôt cartoonesque pour illustrer un conte de Noël et sa suite.

Mais si Hellboy apparaît dans cet album comme un protagoniste détaché des événements, presque comme un deus ex-machina, ce n’est pas le cas de la mini-série HELLBOY IN LOVE, dont le titre ne trompe pas sur la marchandise. À la fin des années 70, le héros aux cornes cassées rencontre lors d’une mission une archéologue, Anastasia Brandfield (Stasia pour les intimes) qui semble lui porter un intérêt plus qu’académique. Nos héros vont se rapprocher au fil de leurs aventures communes. Mais Hellboy peut-il se permettre d’aimer ?

Après LA NUIT DU CYCLOPE, Eros va-t-il encore viser Hellboy ?
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Hellboy qui vit une romance, ce n’est pas une nouveauté : Alice Monaghan dans les comics, les comics, Liz Sherman dans les films. Et la relation avec Anastasia Brandfield est plus ancienne que ce comics : le personnage a été imaginé par Christopher Golden dans le roman Hellboy: L’armée perdue comme une ex de Hellboy. Elle n’est cependant apparue dans les comics jusqu’à ce HELLBOY IN LOVE coécrit par le même Golden qui lève donc le voile sur cet amour passé.

Anastasia est imaginée comme un personnage reflet de Hellboy. Elle se spécialise en effet dans l’Histoire surnaturelle, plus spécifiquement sur la secte mystique à l’origine de toutes les autres, la Suaren Artea. Sa première rencontre avec Hellboy la montre aussi prête à passer à l’action que le détective d’origine démoniaque, et elle affronte à ses côtés gobelins, zombies, hommes-oiseaux et ombres mystiques. Si elle n’a pas la force physique de son compagnon, Anastasia le complète par son esprit vif et pratique : elle trouve ainsi une solution pacifique à plusieurs crises surnaturelles.

Stasia et les monstres, une longue histoire d’amour
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Cette relation n’handicape pas l’action mais évolue logiquement, les 2 tourtereaux apprennent d’abord à se connaître et à s’apprécier, parfois hésitants et maladroits. Leur relation ne devient physique que sur le tard. Lorsqu’Anastasia se livre sur son goût pour l’archéologie mystique, son histoire suggère l’origine de son attraction pour Hellboy, voire peut-être également la raison de leur future rupture, avec également une tension que leur couple crée au sein du B.P.R.D. C’est probablement le plus frustrant : la minisérie s’achève sur l’officialisation de leur relation mais laisse en suspens des éléments de l’intrigue. En effet, on découvre un lien entre les diverses aventures qu’Hellboy et Anastasia ont vécues ensemble, sans résolution.

Pour la partie graphique, Matt Smith est en terrain connu : il a déjà travaillé sur une minisérie Hellboy et sur plusieurs couvertures, notamment sur la série Young Hellboy. L’édition française de Hellboy in Love propose une série d’esquisses accompagnées de commentaires de l’artiste. Celui-ci explique par exemple avoir voulu s’inspirer de Jane Birkin puis de Jenny Agutter pour le personnage d’Anastasia (accessoirement un sacré grand écart !) et dévoile un véritable travail de recherche pour arriver aux modèles finaux de ses héros, antagonistes ou personnages secondaires.

Passage à la 2D
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De manière générale, dans les pages intérieures son style me rappelle quelque peu Guy Davis, souvent à l’œuvre sur les séries B.P.R.D. Avec humour, il compose des couvertures entourée d’un cœur stylisé… mais formé par les monstres du jour ! La partie où il semble s’amuser le plus est celle où Hellboy et Stasia deviennent des projections en deux dimensions : Matt Smith joue avec les proportions déformées des personnages et les formes de l’écran de projection

En bref, ces 2 albums sont parfaits pour découvrir le personnage. Si vous voulez des histoires qui vont à l’essentiel et font la part belle à la partie graphique, je vous recommande LA NUIT DU CYCLOPE. Si vous avez une préférence pour le développement de personnages sans avoir besoin d’un historique Wikipédia, HELLBOY IN LOVE est pour vous !

La suite ne nous regarde pas
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20 comments

  • Bruno. :)  

    Ah tiens, oui : comme toi, ça fait une éternité que je n’ai plus rien lu sur le sympathique démon. Merci pour la mise à jour, donc.
    Je ne connais cependant aucun de ces albums, mais ton commentaire sur la filiation assez évidente avec P. Craig Russell est très juste : ce sont les volutes dans les « nuages » qui suscitent cette comparaison, surtout.
    … Sinon, Jane Birkin et Jenny Agutter… C’est plus du grand écart, ça : c’est carrément un écartèlement !! :))

    • JB  

      Je voulais être honnête dans mon approche de ces histoires, celle d’un néophyte concernant le personnage et son univers.

  • Alchimie des mots  

    cette série est incroyablement addictive mon porte monnaie ne suit plus.
    merci pour ce retour !

    • JB  

      Ces albums m’ont donné envie de m’y replonger !

  • ollieno  

    Bizarre cet album qui reprends le Cyclope …

    c’est un fourre tout de plusieurs histoires publiées ces 5 dernières années.
    (Mais ca m’a permis de voir que j’avais raté un one-Shot… Time is a river (ou alors c’est l’historie du FCBD 2024) — Le winter special 2019 est sorti pendant la publication de H&BPRD 1956).

    Concernant le Hellboy in Love, je l’avais trouvé long à sa lecture — un épisodes tous les 2 mois (voir 3), en alternance avec Young Hellboy (Assault on Castle Death) plus « entraînant ».

    (Matt Smith est un régulier de Hellboy, depuis 2019, avec plusieurs one-shot (Goloski + Winter 2023…) et mini (Bones of the giants + In Love ..) ) .

    Et je m’aperçois que je n ai pas vu passer de Hellboy sur 2024 .. (vais aller jeter un oeil)

    • JB  

      Fourre-tout, oui : du one-shot, de la mini-série, de l’extrait d’un numéro spécial… Mais hérité du TPB US.
      Pour Hellboy in Love, la lenteur de publication a peut-être influencé le plaisir de la lecture. Pour ma part, sur la lecture en album, j’ai surtout eu l’impression d’une dernière histoire trop rapide

  • Jyrille  

    Ah ah ah, excellente introduction JB, encore un peu et on dirait que tu vas prendre la place de Lavitch…

    J’aime beaucoup le trait de Vatine, et n’ayant que très peu de Hellboy (deux tomes, le 8 avec des dessins de Corben et la réédition 2024 de L’Homme Tordu), cela pourrait m’intéresser. Surtout que ceux que je connais sont déjà des histoires indépendantes j’ai l’impression, auto-contenues en tout cas. Je ne connais rien d’autre à part les deux films de Guillermo Del Toro (et oui, c’est un peu contradictoire avec mon avatar ici mais tout n’est pas raisonné).

    Tous les scans sont chouettes, couleurs comprises. Pour le second tome (In Love), j’ai un peu le sentiment de voir du Phillips et d’autres influences que je ne remets pas, là.

    Merci pour le lien vers mon article de Cendrillon 😉 Un bien bel article encore une fois, JB. Pas de BO ?

    • JB  

      Merci pour ta lecture ! Du Phillips ? Criminel de ma part de ne pas y avoir pensé 😉

    • JB  

      Après coup, pour la BO, je pense que « La malédiction des dieux » de l’OST d’Ulysse 31 marchait pas mal pour la Nuit du Cyclope 😉

      • Jyrille  

        Ah ouais ! La BO de Ulysse 31 est assez incroyable de toute façon, elle ne vieillit pas trop et est carrément au-dessus de ce qu’on pouvait entendre à l’époque, en France en tout cas.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Salut JB.

    j’ai (et relu hier soir) le Hellboy and THE B.P.R.D.: Night of the Cyclops en VO. Du Hellboy avec un olivier Vatine inspiré.
    Je dois avoir quelqu’une des autres histoires (la Walta notamment acheté pour Walta) du recueil (en VO).

    On est exactement dans le type d’histoire écrite pour les one shot. Les on shot de Hellboy ont une narration spéciale. Ce n’est jamais très approfondi, laissant souvent la vedette au dessinateur. Conclusion rapide et en effet il y a une volonté de Mignola and coe de maitriser le Hellboy-verse d’où une impression, légitime, que c’est lié à d’autre histoire. Mais je trouve que cela ne gène jamais la lecture.

    HELLBOY IN LOVE : pris pour rattraper mon retard (il doit me manquer les 5 albums précédents). Autant j’ai apprécié le fait de mettre la vie amoureuse de Hellboy en avant, de fort belle manière, autant le scénario m’a semblé étonnamment poussif. Et je ne sais pas quoi penser de la fin. Pour moi c’est un à suivre alors que certains semble penser que cela sera sans lendemain. Matt Smith n’est pas mon dessinateur préféré sur les séries Hellboy.

    Bref je suis un grand fan d’HELLBOY et aussi du BPRD.

    Merci pour cette article concis et très agréable à lire.

    • JB  

      Merci pour ta lecture !
      « Conclusion rapide et en effet il y a une volonté de Mignola and coe de maitriser le Hellboy-verse d’où une impression, légitime, que c’est lié à d’autre histoire. Mais je trouve que cela ne gène jamais la lecture. »
      D’ailleurs, la dernière page de Hellboy in Love renvoie directement à La Nuit du Cyclope ^^

  • Bruce Lit  

    Ah ah !
    Encore des coulisses dévoilées….
    Merci de t’être acquitté mieux que moi de ces albums.
    Hellboy, c’est un peu le Ben Grimm indie, non ? Super attachant, ‘j’avais adoré le volume 2 au cinoche.
    En BD, j’aime la colo, les dessins de Mignola ne me posent aucun problème, seulement je n’accroche pas à l’ambiance, aux intrigues ou aux persos. J’ai tenté XX fois et ça ne marche jamais.
    Ceci est d’autant plus incompréhensible que j’ai adoré récemment le LORD BALTIMORE de Mignola et Golden. Je me comprends pas.

    • JB  

      Encore merci pour le cadeau !
      Hellboy / Ben Grimm : pas mal pour l’aspect à la fois débonnaire et « coup de poing ». La Chose a un autre homologue pour les tourments que lui pose son aspect : Concrete de Paul Chadwick, toujours chez Dark Horse.

  • JP Nguyen  

    Merci pour le topo. Ça me donne des pistes de lecture pour le jour où je voudrais me remettre à Hellboy.
    Mike Mignola a habilement géré son personnage en racontant sa destinée en ménageant des plages temporelles pouvant être explorées ultérieurement. La contrainte de l’approche, c’est de garder un enjeu suffisant ou une ambiance assez captivante pour ne pas être purement anecdotique.

    • JB  

      Assez d’accord. Et puis, pour ce que je connais des séries du « Hellboyverse », je n’ai pas l’impression d’une continuité particulièrement lourde hors histoires se déroulant dans le « présent »

  • Présence  

    Ça fait plaisir de retrouver Hellboy et son univers : je serais bien en peine de dire combien d’épisodes j’ai pu en lire, entre la série Hellboy, celle du BPRD et de nombreuses séries dérivées. Ah ben si, 160 épisodes pour la série BPRD, sans compter tout le reste de l’univers partagé comme Abe Sapien, Lobster Johnson, Sir Edward Grey, Sledgehammer 44, Black Flame, The visitor, Rasputin, Koshchei, Sarah Jewell,Crimson Lotus, etc. Quel univers partagé !

    L’épisode dessiné par Olivier Vatine m’avait tenté, et je très content de pouvoir le découvrir commenté ici.

    • JB  

      Je me suis laissé tenté par un « bundle » numérique, on va voir tout ça ! (mais pas de bol, « humble bundle » a complètement mélangé les titres et les PDF qui y sont associés. Pour retrouver l’équivalent VO de la Nuit du Cyclope, ça a été une véritable partie de bonneteau en ligne !)

  • Tornado  

    C’est amusant de voir qu’on a quasiment tous fait pareil : Lire Hellboy à une époque, et plus depuis ! Tout en ayant tous envie d’y revenir…
    Fut un temps où je collectionnais tout comme un couillon. Un jour j’ai pris conscience que je n’arriverais jamais à lire tout ça, et que me plonger dans un nouvel univers partagé il n’en était pas question. Alors j’ai tout revendu (Hellboy, BPRD, Hellboy & BPRD, Abe Sapien, Lobster Johnson). Et j’ai racheté à la place les 7 intégrales de la série HELLBOY en grand format. Point.
    À l’époque, j’avais lu les 7 ou 8 premiers tome originaux de la série HELLBOY. J’avais adoré. Avec un gros côté X-FILES. J’adore le second film aussi. Un des meilleurs Del Toro.
    Merci pour cette présentation. Ça a l’air très cool. Mais je vais quand même me contenter de mes intégrales…

    • JB  

      J’avais beaucoup aimé le premier film, moins accroché le second, je ne sais pas pourquoi. Et puis, la trogne de Ron Perlman, quoi !

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