Carl et Lydia

The Walking Dead : Whipers into screams par Robert Kirkman et Charlie Adlard

Première publication le 15 juin 2015- Mise à jour le 19 septembre 2015

Careless Whisper

Careless Whisper…©Image Comics

VO : Image

VF : Delcourt 

Whispers into screams est le volume 23 de la série Walking Dead. Il comprend les épisodes américains 133 à 118. Il fait suite au volume 22 chroniqué ici. L’article peut comporter des spoilers pour les lecteurs qui veulent garder la surprise absolue avant la lecture de chaque volume. Soyez prévenus ! 

On touchait du bois il y a quelques mois face à la démarche de Kirkman de renouveler le mode de narration de Walking Dead : saut dans le temps,  maturité des personnages, introduction d’un nouveau casting  et mise à l’écart de Rick Grimes au profit de son fils Carl.

C’était aussi et surtout l’apparition d’une nouvelle tribu, les Whisperers, des survivants revêtus de chairs de zombies pour se mélanger à eux. Oui, on touchait du bois, parce que 138 épisodes plus tard, WD avait eu le temps de nous plaire et nous déplaire.

Les Whisperers : amis ou ennemis ?

Les Whisperers : amis ou ennemis ?©Image Comics

Et bien, le croirez vous ?  The Walking Dead, c’est de mieux en mieux ! Un avertissement pour le public le plus conservateur : Rick n’apparaît que sur une page, Michonne et les zombies….pas du tout !!! Comme au moment des spin off de Thorgal, le relais est désormais passé et notre héros est pour l’instant réduit à des caméos sympathiques.  Pour les autres, ceux qui rêvaient de voir la série évoluer, c’est un enchantement. La série, enfin débarrassée de l’omniprésence, de l’omnipotence de son héros peut enfin explorer des alternatives. Kirkman se rappelle du reste de son casting pour développer les personnages de Sophia, Maggie, Jésus et bien sûr Carl.

C’est le fondement de Walking Dead : amener le lecteur à confronter la version initiale de ses protagonistes et les comparer avec ce qu’ils sont devenus. Carl, le petit garçon qui portait le chapeau de Sheriff de papa aura appris à tuer, à mentir et à tuer encore. Sa jeunesse et ses brefs retours à l’enfance permettent au lecteur de lui conserver un certain capital de sympathie alors qu’à bien des égards il manifeste une tendance à la psychopathie évidente. Carl est désormais un adolesctent à la jonction de sa vie capable de faire le bien mais succeptible de passer du côté obscur sous une mauvaise guidance.

Don't ever fuck with Carl Grimes !

Don’t ever fuck with Carl Grimes !©Image Comics

C’est donc à ce héros instable et souvent influençable,  brisé de corps et d’esprit que Robert Kirkman remet sa série. Le scénariste alterne des scènes de plus en plus rapides avec de nombreuses intrigues et personnages secondaires. Il montre que la paix si chèrement payée n’est jamais facile à maintenir et qu’à l’image de Carl tout peut basculer en affrontement. C’est ainsi qu’une simple bagarre entre ados est susceptible de tourner à la catastrophe et d’achever des personnages qui ont survécu à bien pire.

Carl est désormais un figure locale, une légende parmi sa communauté. Blessé par balles par deux fois, il se croit désormais invulnérable. Parallèlement à cela, un membres des Whisperers est capturé et interrogé. Il s’agit d’une ado de 16 ans, Lydia, qui va sympathiser avec Carl. Très vite un début d’idylle se dessine entre deux personnages incapables de discerner le bien du mal, sérieusement perturbés et surtout de factions adverses !  Comme un papillon face à la lumière, Carl attiré par le mal, comme il le fut autrefois par Negan, est encore sur le point de se brûler.

Lydia, aussi belle que déglinguée

Lydia, aussi belle que déglinguée©Image Comics

Jolie et dangereuse, innocente et déglinguée, Lydia acquiert en moins de 4 épisodes une réelle épaisseur psychologique.  Il ne s’agit jamais pour Kirkman de ramener un personnage pour lui faire faire de la figuration. Le scénariste écrit ici un de ses meilleurs dialogues sur les normes à respecter d’une société qui n’existe plus. Lydia souffre d’un réel syndrome de Stockholm qui l’a amenée à assimiler les zombies, leur cannibalisme et leur odeur putride à sa famille ! Kirkman brode une variation de Roméo et Juliette où la prison a remplacé le balcon et où deux clans s’affrontent.

Outre l’intrigue principale pauvre en action mais riche en nuances, Kirkman tisse de jolis méta-commentaires sur le pouvoir. La légitimité de Rick et de Maggie s’est édifiée sur la souffrance, le sang et la violence. Il aura fallu le charisme et les visions de nos héros pour voir plus loin que les autres. Passée la crise, la paix « oublie » et banalise la tranquillité de l’existence nouvelle. Le charisme des chefs de guerre retombe pour laisser place aux jalousies, aux mesquineries et aux rumeurs.

Maggie Greene, un leader qui doit descendre de  son destrier

Maggie Greene, un leader qui doit descendre de son destrier©Image Comics

Kirkman montre à quel point un pouvoir pacifique est difficile à maintenir, spécialement quand le leader est une femme contestée dans son autorité.  Maggie Greene doit trouver le juste équilibre entre sanction et justice, force et sagesse. Il serait tellement plus simple dans un monde en ruine de tuer chaque opposant au nom de l’intérêt général. Cette nouvelle voie non violente est finalement aussi courageuse que dangereuse.

Notre scénariste met en scène des « petites gens » légitimes dans leur colère : suite à un incident avec Carl, ceux-ci demandent réparation. Comment exercer une sanction exemplaire envers un ami qui a fauté ?  Sans le background de la série, le lecteur pourrait-il fermer les yeux sur les agissements de Carl ? Et cette soif de justice et d’égalité du petit peuple ne cache t’elle pas une certaine forme d’aliénation ? Rappelons ce que disait Tocqueville : les hommes ont une telle passion pour l’égalité qu’ils iront la chercher jusque dans l’esclavage.

Des héros qui doivent saccodomder de passions mesquines

Des héros qui doivent s’accommoder de passions mesquines©Image Comics

Encore une fois, Kirkman montre que son média, la bande dessinée d’horreur permet de vraies considérations sociétales en décrivant fois la grandeur et la fragilité d’une démocratie à douter d’elle même. Dans ce monde apocalyptique, l’amour est dangereux, les ennemis s’aiment, les amis s’affrontent, la liberté s’efface derrière les pulsions. Telle est la définition que nous donne St Jean de l’Apocalypse : le haut devient le bas et inversement.

Encore une épisode de haute volée qui rappelle à tout ceux qui ont douté de Kirkman au creux de la vague  (dont votre serviteur, mais très brièvement) qu’il avait raison et que nous avions tort !

Carl et Lydia deux adolescents à la recherche dune normalité anéantie

Carl et Lydia deux adolescents à la recherche d’une normalité anéantie©Image Comics

9 comments

  • Présence  

    Alexis de Tocqueville et Saint Jean : ça, c’est de la caution (en passant ça m’a permis d’apprendre d’où Ennis avait tiré le titre d’un récit du Punisher).

    L’ambition de l’auteur est impressionnante : légitimité du pouvoir, oubli des luttes passées pour obtenir des libertés, syndrome de Stockholm, droits et sécurité que l’on tient pour acquis.

  • Walking Bruce  

    Merci Présence,
    Je m’en veux car contrairement à ce que j’ai écrit pour le volume 21, c’est vraiment de la haute volée. Je suis bien content d’avoir continué à faire confiance à Kirkman. A ce propos, y’at’il ici des lecteurs d’Invincible et de Wolfman ?

  • Tornado  

    Encore un superbe article, dense, riche et néanmoins concis. Le côté métatextuel y apparait limpide, comme si l’on avait extirpé la pulpe du fruit !
    Je continue de lire tes commentaires sur cette série de comics en ne la lisant pas, mais en regardant la série TV que j’adore (oui, je sais que tu n’es pas fan de cette dernière). Et ma foi, le parallèle entre les deux (puisque les deux séries qui partent du même point de départ suivent à présent deux continuités distinctes) est assez passionnant !

  • Lone Sloane  

    Oh yeah! Ton enthousiasme fait plaisir à lire et, vu que j’ai l’arc de Negan en jachère, il y’a de grandes chances que j’ai oublié le contenu de cette chronique d’ici là, comme un poulet dont on aurait sacrifié la tête en pratiquant un culte vaudou.
    J’ai fait main basse sur le Savage de Pat Mills et Charlie Adlard, ça sent la poudre de la guérilla urbaine sur l’oreiller 🙂

    • Présence  

      Savage de Pat Mills & Charlie Adlard – Damned ! J’ai dû me résigner à l’acheter en français, car il est épuisé en VO depuis longtemps, pour la même raison qu’il est édité en VF. Le nom de Charlie Adlard suffit pour espérer des ventes satisfaisantes. Il s’agit de la suite d’une des 4 premières séries initiales, parues dans le premier numéro de 2000 AD, en 1977.

      • Bruce lit  

        @ Lone : l’arc de Negan / Un personnage fascinant mais des intrigues et surtout des personnages secondaires mollassons. La seule fois où j’ai perdu la foi en WD. A la relecture dans la continuité, c’est déjà plus cohérent. La patience pour un lecteur de comics est une vertu !
        @Tornado : je vais retenter la série. Elle aura eu au moins une vertu : montrer à Kirkman qu’il peut s’appuyer sur ses personnages secondaires et ne plus faire porter la série sur Rick Grimes. C’est notable depuis dix épisodes ! Donc merci la TV !

  • Bruce lit  

    Tiens c’est amusant l’inconscient ! En retravaillant les images à la une de Walking Dead et Pluto, il y a, je trouve un air de similitude entre Carl et Astro !

  • yuandazhukun  

    Encore un super article bravo Bruce ! Là on voit qui faut pas déconner sur la série hein ? Moi aussi j’ai beaucoup aimé le changement de protagonistes principaux ce tome a été une bouffée d’oxygène ! Mais la tension grandissante tout au long du tome je ne l’ai pas retrouvé dans le prochain (un peu fait exprès cela dit) j’attends de voir ce que va faire Kirkman de cet arc avec j’espère pas trop de danses du yoyo de tome en tome. Encore bravo et merci Bruce !

  • Walking Jyrille  

    Tu as bien fait de le remettre lors de sa sortie VF, car du coup, je l’ai choppé, et lu dans la foulée. Encore une fois, un très bel article, très juste et bien emmené. Mais je suis surtout respectueux de l’utilisation des citations, fallait oser les rapprochements, la classe ! En tout cas tout comme toi j’ai adoré lire ce tome, c’est un vrai renouveau. Même mon fils qui s’est arrêté au tome 7 pour cause de dégoût face à la violence a dévoré ce tome, deux fois. Du très beau boulot, vraiment.

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