Ce garçon irrécupérable (The Mighty)

The Mighty par Peter J. Tomasi, Peter Snejberg et Chris Samnee

Un article de BRUCE LIT

VO : DC Comics

VF : Urban Comics

Une cover qui donne le ton : encore un super-héros qui a perdu le contrôle !
© DC Comics / Urban Comics

THE MIGHTY est un récit complet en douze chapitres commis par Peter J. Tomasi au scénario et Peter Snejberg (1 à 4) et Chris Samnee (4 à 12) aux dessins. Cette édition Urban propose également à la fin de l’album une préquelle (dispensable) scénarisée par Keith Champagne.
Toutes les couvertures sont signées par le légendaire Dave Johnson et le tout impeccablement traduit par Mathieu Auverdin.

Des spoilers alpha viendront montrer le bout de leur sale bobine tout au long de l’article.

Les covers de Dave Johnson toujours aussi efficaces
© DC Comics

Aux Etats-Unis de nos jours n’existe qu’un super-heros : Alpha One. Celui-ci est financé par le marchandising autour de sa notoriété et est supervisé par son agent de liaison qui après avoir recueilli des doléances du monde entier, l’oriente sur les missions à accomplir.

Notre héros Gabriel Cole a été sauvé enfant par Alpha One. Il est le nouvel agent de liaison qui remplace l’ancien mystérieusement décédé et va devoir collaborer avec ce super-héros qu’il idolâtre. Mais très vite, Gordon déchante : chaque mission déclenche son lot de décès accidentels et le comportement d’Alpha One est de plus en plus erratique. Se pourrait-il qu’Alpha One soit un psychopathe de niveau Omega ?

Un nouveau swipe de la fameuse cover de Superman
© DC Comics

Peter Tomasi auteur d’un run souvent émouvant chez BATMAN a une écriture on ne peut plus limpide : les indices sur les failles psychologiques d’ALPHA ONE apparaissent dès le premier chapitre et le lecteur peut dans un premier temps choisir quel sourcil hausser de suspicion : quel besoin de raconter une nouvelle fois une métaphore de Superman qui péterait sa durite après INJUSTICE, l’intégralité de la –tousse– littérature de Mark Millar (RED SON en tête), le BLACK SUMMER et SUPERGOD de Warren Ellis ou bien sûr THE BOYS de Garth Ennis ?

Car oui, THE MIGHTY cuisine dans les mêmes casseroles : un Superman qui, du haut de sa puissance, se comporte comme un Dieu de plus en plus désaxé et qui deviendrait une menace pour ceux qu’il est censé protéger. En dehors du champ des caméras, Alpha One tue, kidnappe et torture hommes, femmes et enfants comme le Homelander de Garth Ennis.
Mais la cuisine de Tomasi est suffisamment bien assaisonnée de psychologie, de détails bien pensés sur le réalisme que représenterait le quotidien d’un super-héros et d’un suspense à toute épreuve pour que l’on accepte de se repasser le film d’un dieu devenu fou.

THE MIGHTY peut surtout se permettre de tutoyer le comics de référence : IRRECUPERABLE de Mark Waid à qui il emprunte beaucoup. Alpha One partage avec Le Plutonien de Waid cette solitude touchante, cette naiveté d’un enfant qui ne se serait jamais developpé couplée aux desillusions d’un adulte capable de réaliser l’iréalisable, d’un être capable de toucher une étoile et pour qui nos vies n’ont aucun sens.

Gabriel Cole va progressivement découvrir la brutalité de son acolyte super-héroïque.
© DC Comics

Pourtant il existe bien des différences entre THE MIGHTY et IRRECUPERABLE. La saga de Mark Waid était une course contre la montre d’un groupe de super-héros pour stopper l’un des leurs quand Gabriel Cole est un individu isolé sans pouvoirs qui va devoir enquêter contre son meilleur ami capable de l’entendre aux quatre coins du globe. Bien sûr, THE MIGHTY est un fantastique thriller où la tension ne retombe jamais et qui tient presque toutes ses promesses.

SI le lecteur aurait pu apprécier une fin moins prévisible et mieux développée, il ne pourra que se réjouir que Tomasi à l’inverse d’un Millar va jusqu’au bout de son histoire (la chose est tout de même publiée chez DC Comics), ne se dérobe pas devant les enjeux de son pitch et surtout, va au delà de l’habituel conflit de super-héros.

Un thriller super-héroïque
© DC Comics

L’affrontement entre Cole et Alpha One, c’est aussi en filigranes l’histoire d’une relation toxique au travail entre un pervers narcissique qui déguise amitié et loyauté en laisse de soumission et de servilité. C’est dans ces moments que le scenario de Tomasi devient absolument brillant avec des moments de tension à couper le souffle dans la représentation d’une puissance divine à la fausse bienveillance qui pourrait se retourner à n’importe quel moment contre son non-croyant.

Le lecteur est amené à prendre fait et cause pour Gordon Cole pris dans l’engrenage d’une admiration qui l’a aveuglé et qui comme dans toutes les affaires #Metoo est bientôt sidéré par l’audace de son idole qui va toujours plus loin dans l’outrance de sa toute puissance.
De là à créer un #Metoosuperhero ? Oui, car la littérature super-héroïque aura revêtu suffisamment d’apparat depuis sa création pour ne pas en ajouter une nouvelle pierre dans l’air du temps.
Et THE MIGHTY est suffisamment puissante pour en soutenir un nouvel édifice.

Comment échapper à un être omnipotent ?
© DC Comics

La BO du jour


24 comments

  • JB  

    Merci pour cette review !
    J’avais beaucoup aimé cette histoire sur un Jimmy Olsen de contrebande qui découvre que son amitié avec « Superman » n’est pas gratuite, avec une version plus brutale de la « montre signal » qui lui permet d’appeler son pote superhéros.
    L’histoire évoque l’envers du décor superhéroïque, la position de contact humain d’Alpha One pouvant offrir richesses et influences mais aussi mener à une fin tragique.
    Je me demandais si les droits étaient toujours chez DC Comics. J’ai découvert que Tomasi avait écrit une histoire préquelle pour Dark Horse et qu’un récent TPB avait été publié par Image Comics, ce qui pointerait vers un creator owned.

    • Bruce lit  

      Toutes les références à IRRECUPERABLE te sont bien sûr destinées. Bien vu pour Jimmy Olsen, je n’y avais pas pensé.

  • Eddy Vanleffe  

    Je préparais un commentaire très hargneux mais il faut toujours lire la peau de l’article avant de vouloir se le faire…TOUT ce que je voulais dire est dedans. En mieux fatalement puisque c’est un article rédigé et pas un commentaire au fil de la pensée…
    Parce que je ne sais pas vous mais entre INJUSTICE, THE HIGH dans STORMWATCH, IRRECUPERABLE (l’Everest de ce genre précis je dirais), même MIRACLE MAN de Moore, j’ai quand même l’impression d’avoir lu ce récit une bonne 20aine de fois, à peu près autant que les origines de SUPES (qui pourraient avoir leur propres top 10). il y a même un film à ce sujet: BRIGHTBURN.
    Il fut un temps où je me serais propulsé pour l’acheter, mais j’ai l’impression que c’est le tour gratuit gagné avec le pompon..le tour de trop celui où t’as envie de rentrer chez toi.

    • JB  

      J’ajouterai également DOCTOR ZERO de la Shadowline Saga chez Marvel à la fin des années 80, finalement assez proche de ce Mighty, avec des objectifs masqués derrière un héroïsme de façade.

      • Tornado  

        C’est vrai ce que vous dites (impression d’avoir lu ça 100 fois). Mais quid du contraire (le héros gentil qui devient jamais méchant ?) ? 😀

      • Matt  

        Bah je sais pas vous mais le supéer héros, bien que naïf (le concept je veux dire) c’est censé t’évader du vrai monde ou les injustices ne sont pas réparées, ou tout le monde se fait niquer tout le temps et ou t’as personne vers qui te tourner à part des institutions qui mettent 3 ans à ouvrir un procès pour vol, puis attendant encore 2 ans si le coupable fait appel.

        Qui a envie par contre de se plonger encore plus dans la merde et la dpéression avec un être omnipotent qui serait une ordure ? Certains diront que c’est plus réaliste et adulte…mais…je m’en fous moi perso que ce soit pas réaliste le super slip. Je vais lire du polar de Brubaker si je veux un truc noir sordide sur le vrai monde.

        Du coup lire 100 fois un héros qui devient méchant ça n’a pas les mêmes vertus que de lire du héros qui arrête du salaud. D’ailleurs vou le comprenez tous bien ici quand il s’agit du Punisher. Moi j’suis pas fan mais c’est un autre débat. Je suis fan du concept de voir les méchants perdre^^ Juste j’aime pas Frank Castle.

        • Bruce lit  

          Je suis aussi assez fan des héros vertueux.

    • Bruce lit  

      Toujours le sens de la formule Eddy 😉
      On va quand même dire que c’est le même principe qu’un polar ou un film de tueur en séries, non ?

      Comme je le mets dans l’article, j’ai bcp aimé l’aspect relations hiérarchiques toxiques.

      • Eddy Vanleffe  

        Tout à fait et je ne dirais jamais que ce récit soit mauvais…
        a un moment les comics ont beaucoup exploré les sentiers inexplorés du genre, « étendu » ne voulait pas dire que l’univers était connecté forcément avec 12000 séries mais le fait qu’on pouvait avec un bout de concept raconter plein de truc set aborder pleins de sous-textes différents. ça rendait forcément le médium « passionnant » mais l’usure se conçoit aussi de le nombre d’histoires du même genre qu’on peut lire « d’affilée ».
        là, les récits actuels me semblent plus vraiment explorer…
        Je suis encore sous le choc de Mr Miracle…
        OMG
        Ce truc m’a presque donné envie de revendre ma bibliothèque… ^^

  • Fletcher Arrowsmith  

    Salut.

    C’est un bel album. Je l’ai feuilleté cette semaine et j’ai été à deux doigts de le prendre (QUEEN PYRATE de Milligan et Pollina et le tome 5 de THE RECKLESS ont eu mes préférences). Mais en tant que groupie fidèle, j’attendais la review du boss.

    Les dessins de Samnee me donnent bien envie.

    Maintenant, en effet, ai je envie de lire une nouvelle histoire de Superman qui pète un plomb ? Je suis plutôt, actuellement, dans la mouvance d’Eddy. J’ai l’impression que je ne suis pas le public visé. Maintenant pour un lectorat plutôt novice ou jeune, qui n’a pas envie de se farcir un comics avec des tonnes de pavés de texte ou une mise en couleur défraichie, THE MIGHTY me semble être une bonne porte d’entrée.

    La BO : chef d’oeuvre (comme tout l’album). Content de voir que Tornado et moi même avons une influence positive sur Bruce. On en fera quelque chose de ce petit gars.

    • Bruce lit  

      Je suis clairement preneur de toutes les histoires de super-héros adultes jusqu’au boutistes sans retour en arrière en fait. Et celle-ci en est une.
      Merci à Tornado et toi pour Lana.

  • Jyrille  

    Merci Bruce pour la review. Je l’ai feuilleté et reposé, et comme mes camarades, je me suis dit la même chose que ce tu pointes : encore une histoire de super-héros qui est vilain en fait ? Le pouvoir corrompt etc ? Pas trop envie, surtout que les dessins ne me donnent pas envie du tout, contrairement aux couvertures, très classes. Eddy a raison, BRIGHTBURN, un petit film d’horreur basé sur les origines de Supes, très sympa, parle de la même chose. Je crois que moi aussi j’en ai soupé. Même pas tenté IRRECUPERABLE. Par contre INVICIBLE en anime a repris, l’épisode 5 de la saison 2 était particulièrement accrocheur et impressionnant.

    La BO : je tenterai ce disque, je trouve ça bien. Mais je le répète, dans le même genre, je vous conseille Chelsea Wolfe. L’album Pain is Beauty de 2013 est une bonne porte d’entrée, ou le dernier en date sorti en 2024, She Reaches Out to She Reaches Out to She.

    • Bruce lit  

      Le sujet n’est pas tant la corruption du pouvoir mais comment s’en extraire quand ton patron est un super psychopathe à qui tu dois la vie et que tu vénères depuis ton enfance. Tomasi, qui avait déjà écrit un bien meilleur Damian Wayne que Gland Morrison s’en sort avec les honneurs.
      J’ai écouté Chelsea Wolfe cette semaine en me rappelant tes recommandations et effectivement les univers sont très proches de Lana.

      • Jyrille  

        Ah, content que tu aies tenté Chelsea Wolfe ! Tu me diras si tu persévères ?

        Moi, je crois que c’est le contraire, que je rejoins Mattie. Il faut dire que je n’ai pas vraiment été biberonné aux supers dans mon enfance et que les premiers que j’ai vraiment gardés, ce furent WATCHMEN et TDKR. C’est là que j’ai commencé à en lire pour de bon, à m’y intéresser. Et je crois que je n’ai plus envie de lire ce genre de variation, je fais le chemin inverse, je découvre les super-héros et leurs codes, mais je vois bien que je ne pourrais plus lire les bds des années 70 ou 80 (j’avais tenté les X-Men, ce fut long et laborieux). Par contre, en pleine lecture du run de Tom King sur Batman, je trouve ça formidable.

        Je viens d’en lire des épisodes où il ne se passe rien, où on voit des adultes qui portent des costumes mais ont des soucis et des sentiments totalement adultes, des épisodes très bien écrits qui paient leur tribut à de vieux épisodes que je ne connaissais pas du tout (évidemment), d’autres où King refait 12 hommes en colère, ou d’autres où tout est basé sur le dialogue. C’est à la fois naïf dans l’univers et à la fois moderne dans le traitement, tout en restant linéaire et simple, sans complexité inutile ou m’as-tu vu, et où les personnages sont en effet vertueux. Et comme Mattie, je trouve que ça ne fait pas de mal. Il y a quinze ans, j’aurais fui, aujourd’hui je trouve ça rafraîchissant. Je le prends comme une nouvelle itération du personnage, un reboot, et il vaut mieux le faire tant la continuité est impossible à rationaliser.

        C’est marrant que tu dises que Morrison a mal écrit Damian Wayne : si je me souviens bien, c’est lui qui l’a créé. Je pense plutôt que tu n’aimes pas Morrison quoiqu’il arrive. Chez Tom King, je trouve Damian carrément trop gentil, bien loin de ce qu’il était, sans subtilité ni réelle psychologie, donc moins bien écrit (mais il faut dire qu’on le voit très peu).

        Je pense de plus en plus à me prendre le run de Dini pour comparer, et relire tout le run de Morrison pour le défendre un peu, même s’il n’a pas besoin de moi.

        • Bruce lit  

          Oui. L’écriture de Morrison n’a aucun charme pour moi. Je n’y vois que ses défauts. Je connais toutes ses ficelles comme des tours de magie dont on connaîtrait les trucs. Un lecteur m’avait fait remarquer que son Damian Wayne était en fait une itération US du manga BLACK BUTLER. Je n’ai jamais vérifié mais n’en serais pas étonné.

  • Fab_5  

    Merci pour cette article
    Je n’ai pas comprit son titre stp

    • Bruce lit  

      Un amalgame entre la traduction au singulier de THE BOYS et d’IRRECUPERABLE dont je parle dans l’article.

      • Fab_5  

        J’avis rien compris lol

  • Tornado  

    Bon ben de mon côté je pense l’inverse des copains et je suis d’accord avec Bruce. Le super-héros classique et vertueux ça me saoule, re-saoule et re-re–saoule. Aujourd’hui, en dehors des quelques personnages vertueux auxquels je reste attachés par nostalgie (4 ou 5 entre Marvel et DC), je ne m’intéresse qu’aux anti-héros et aux tordus. Je trouve que ce genre de personnage permet un genre de lecture beaucoup plus intéressant (et beaucoup plus adulte, même si là il y a matière à trouver des contre-exemples dans les deux cas). Perso.

  • Présence  

    J’avais laissé ce récit de côté, Peter J. Tomasi étant assez irrégulier dans son écriture. Je lui avais préféré A god somewhere, écrit par John Arcudi, et également dessiné par Peter Snejbjerg.

    babelio.com/livres/Arcudi-A-god-somewhere/292713/critiques/718182

    Merci pour cette présentation qui me permet de comprendre qu’il s’agit d’un bon Tomasi qui peut également être excellent.

    Au fur et à mesure de l’analyse, j’ai pris conscience que ce type de récit est devenu un genre en soi, avec toutes les permutations possibles des paramètres.

    Le sidekick qui tourne mal : Sidekick, de Joe Michael Straczynski & Tom Mandrake

    babelio.com/livres/Mandrake-Sidekick-tome-2–Revanche-dun-loser/859591/critiques/1101120

    Les sidekicks qui subissent la maltraitance de leurs héros : Bratpack, de Rick Veitch

    brucetringale.com/surexploiter-brat-pack/

    • Jyrille  

      Depuis la lecture de ton article, je tourne pas mal autour de Bratpack, pas dit que je ne craque pas un de ces quatre.

  • Kaori  

    Très bon article, court et qui répond à toutes les questions, et notamment, comme le souligne les potes, pourquoi lire alors que : « mais on a déjà lu ça mille fois ! »

    Et bien tu as réussi à me convaincre de le lire ! Bon déjà parce que Peter Tomasi qui possède une sensibilité dans l’écriture que j’aime beaucoup, et puis parce que le point de vue est pour une fois différent. Moi qui privilégie toujours les personnages et les relations dans les comics, c’est exactement le thème, alors même si c’est sombre et déprimant, j’ai vraiment envie de lire ça…
    Ah, et j’oubliais, Chris Samnee ! Décidément, tout pour plaire…

    La BO : sympa 🙂

    • Bruce lit  

      Coucou Kao’
      Double ration de satisfaction donc de te voir de retour en ces lieux et pour tonvote de confiance. Tu peux y aller les yeux fermés, c’est de la bonne.

      • Kaori  

        Ha ha !
        Oui le blog est toujours ouvert dans mon navigateur, je passe voir le week-end, j’essaye de prendre le temps de lire les articles même si je ne commente pas.

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *