Focus : La couverture d’ACTION COMICS n°1

Focus : La couverture d’ACTION COMICS n°1

Un article de DOOP O’MALLEY

Après la superbe analyse de JB Vu Van sur la couveture d’Uncanny X-Men n°145, je vous propose de revoir un classique : celle d’ACTION COMICS n°1.

Si l’on doit parler de couvertures iconiques, il semble difficile de ne pas présenter la toute première, celle qui a tout lancé : ACTION COMICS #1 par Joe Shuster. Et franchement il y a énormément de choses à dire concernant cette couverture, qui a probablement été le premier vecteur du succès du magazine, de Superman et donc des super-héros.

La couverture de Joe Shuster par laquelle tout a commencé ! © DC Comics

Un peu d’histoire

Jerry Siegel et Joe Shuster sont nés en 1914 à Cleveland. Ils deviennent amis dès leur première rencontre car ils ont en commun la même passion : l’écriture, l’art et les comic-strips, ces récits de quatre ou cinq cases qui faisaient fureur tous les dimanches au sein des grands journaux.

Depuis son plus jeune âge Jerry rêve de devenir un artiste et s’évade dans des mondes imaginaires de sa propre création. Féru de fanzines et de magazines de science-fiction, il trouve dans ces histoires hors du commun un moyen d’échapper à un quotidien plutôt difficile. En effet, son père disparu lors d’un braquage alors qu’il n’était qu’un adolescent. Le pire c’est que ce père n’avait de cesse de le pousser vers une carrière artistique. Avec l’aide de son ami Joe, Siegel laisse libre cours à son inventivité débordante et monte de nombreux fanzines.

Siegel & Shuster !  (Source de l’image : https://clevelandvintage.com/blogs/cleveland/beyond-superman-other-comic-characters-created-by-jerry-siegel-and-joe-shuster )

L’idée d’un surhomme doté de pouvoirs extraordinaires et pouvant sauter au-dessus des buildings serait à priori venue à Jerry pendant son sommeil. Persuadé d’avoir un concept novateur qui lui permettrait de se faire remarquer, il convainc Shuster de mettre en dessins les aventures de ce « Superman » qui, contrairement à son père décédé, ne craindrait pas les balles des criminels.

Les comic-books sont alors en pleine expansion, et pour Siegel cela ne fait aucun doute : c’est le moyen le plus rapide de se faire la main. L’objectif est simple : se faire remarquer par un syndicate, c’est à dire une compagnie publiant de nombreux strips dans les journaux du dimanche. Ils ont donc une vingtaine d’années lorsqu’ils se font embaucher par le major Wheeler-Nicholson, alors président de National (la future DC Comics) pour son magazine New Fun. Le salaire est loin d’être mirobolant mais cela leur permet de publier leurs premières planches de manière professionnelle.

En dépit de leur fougue et de leur enthousiasme, les deux auteurs ne sont pourtant pas encore de véritables artistes aguerris. Comparées aux chefs d’œuvre de Caniff ou d’Hal Foster, les esquisses de Shuster font pâle figure. Mais les deux auteurs compensent par un rendement hors norme. Et ils ne coûtent pas cher ! C’est largement suffisant pour Wheeler-Nicholson qui leur donne de nombreuses histoires à réaliser dans ces magazines. Ils ne réussissent pourtant pas à se faire remarquer par d’autres compagnies ou des syndicates, qui considèrent leur travail comme encore trop amateur. D’ailleurs, les planches de leur strip SUPERMAN, que les deux artistes envoient dans toutes les maisons d’édition depuis 1933, sont régulièrement refusées depuis 1933. L’idée d’un surhomme aux pouvoirs encore jamais vus est trop novatrice et surtout pas assez réaliste. À force de travail et d’obstination, les deux artistes progressent néanmoins rapidement. Siegel s’oriente de plus en plus vers la science-fiction et ses histoires deviennent particulièrement élaborées. Au bout de quelques années, le duo devient une valeur sûre du pool d’auteurs de National. Ils travaillent à plein temps et commencent à être connus mais cela ne suffit toujours pas : leur strip Superman est continuellement rejeté sous prétexte qu’il est impossible de publier les aventures d’un personnage qui ne serait pas un être humain dans des revues destinées aux enfants.

Les conditions de l’achat du strip Superman par National restent, après toutes ces années, toujours aussi floues et les témoignages toujours aussi contradictoires. Il semble que l’éditeur M.C. Gaines en soit l’élément déclencheur. Gaines est bien évidemment au courant de l’existence du strip de Siegel et Shuster qui circule dans les rédactions depuis des années et le recommande alors à Vin Sullivan, le nouvel éditeur de National.

MC Gaines. Un personnage d’importance qui mériterait un article à lui seul ! (source de l’image : DC.fandom.com )

Ce dernier est en effet à la recherche d’une série lui permettant de boucler de toute urgence son nouveau magazine nommé Action Comics. Sullivan demande son avis à son ami Sheldon Mayer (créateur de SUGAR AND SPIKE), l’assistant de Gaines, qui lui répond de manière plutôt enthousiaste sur les strips des deux artistes. Sullivan achète le premier épisode de Superman pour 130 $ et demande aux compères de remonter les cases de leur strip afin d’en faire un épisode classique de treize pages, plus adapté à un format comic-book. Shuster demande l’aide de sa famille afin de tenir les délais et en juin 1938 paraît la première aventure de l’homme d’acier dans Action Comics #1. Comme dans tous les comics de l’époque, il y a plusieurs histoires dans ce numéro : celles du cowboy Chuck Dawson, du magicien Zatara (le père de Zatanna) et même une aventure de Marco Polo !

C’est Jack Liebowitz, le comptable de National, qui selon ses dires choisit de mettre en couverture Superman qu’il trouve particulièrement réussi. La première apparition de Superman doit donc son existence non seulement à l’avis d’un comptable qui ne connaît pas grand-chose en matière de comics mais surtout au fait que les éditeurs de National avaient besoin le plus rapidement possible d’une série bouche-trou.

Analyse de la couverture :

En dépit de sa simplicité, cette couverture recèle de nombreux petits détails, que nous allons analyser.
Tout d’abord, la couverture est d’une originalité très surprenante pour l’époque. Elle peut même être considérée comme totalement incongrue. On y voit un personnage vêtu de bleu et de rouge soulever une voiture à mains nues pour la fracasser cotre un rocher, faisant détaler aux quatre coins de la page des hommes terrorisés et un pneu. À aucun moment le nom du personnage n’apparaît et il n’y a aucun texte explicatif, pratique plutôt courante à l’époque. De fait, le lecteur n’a aucun moyen de remettre la couverture dans son contexte à moins, bien évidemment, de lire les pages intérieures. Il faut se remettre dans le contexte et regarder la couverture avec un œil naïf des années 30. Aucun super-héros n’existait alors et seuls les hommes mystère des comic-strips représentaient des justiciers hors du commun. Il est de fait très facile alors de prendre ce personnage central pour le méchant de l’histoire ! Pire : l’homme à la cape détruit à main nues une voiture, symbole du productivisme américain de l’époque devant trois personnages totalement effrayés et représentés comme des américains classiques et pas du tout comme des criminels. Si on effectue un zoom sur le personnage de Superman, on remarque qu’il a l’air assez agacé, voire en colère. En aucun cas il ne semble agréable, positif ou tout du moins héroïque !
Superman est au centre de la couverture. Afin de renforcer ce côté central, les trois criminels et le pneu se trouvent à la même distance du héros mais aux quatre coins cardinaux. Superman est le centre de symétrie des quatre corps en mouvement.

Tranchant par son originalité et son mystère, cette couverture a forcément déclenché une certaine curiosité chez le lecteur, qui s’est empressé alors d’acheter le magazine. À l’intérieur, il se rendra finalement compte que l’homme à la cape est le héros et que les quatre personnages qui s’enfuient étaient des bandits qui avaient enlevé Lois Lane. De fait, et c’est assez amusant, cette couverture est un véritable spoiler de la fin de l’histoire livrée dans ACTION COMICS #1 ! C’est en tout cas la thèse de Grant Morrison dans son livre SUPERGODS.
Alors que le tirage moyen des comics de National est environ de 300 000 exemplaires, ACTION COMICS #1 dépasse les 900 000 et doit être rapidement réimprimé. Et pourtant, les éditeurs du futur DC Comics ne semblent pas faire le rapprochement entre le succès de la série et le nouveau personnage qui y est proposé.

Il faudra attendre 6 mois pour que les éditeurs de DC comprennent qu’Action Comics fonctionne grâce à Superman !

Superman n’apparaît donc plus en couverture d’ACTION COMICS jusqu’à ce qu’une enquête démontre que les lecteurs n’achètent le magazine que pour lui ! Harry Donenfeld, le président de National qui a remplacé Wheeler-Nicholson est pourtant toujours dubitatif : il est persuadé (à tort) que les lecteurs ne sont pas prêts à accepter ce genre de récit peu réaliste.

Il fait finalement son retour en couverture d’ACTION COMICS #7, sur laquelle un petit message est affiché, informant les lecteurs que « Superman est présent dans ce numéro ». Le succès est au rendez-vous, et apporte à Siegel et Shuster la consécration dont ils rêvent depuis des années.

Les hommages

Bien évidemment, cette couverture est tellement iconique qu’elle a été réutilisée des dizaines et des dizaines de fois.
Toutes les représenter ici n’aurait pas vraiment d’intérêt mais je vous en partage quand-même quelques-unes plutôt amusantes ou originales.
ACTION COMICS #800 par Drew Struzan nous propose la même image qu’ACTION COMICS #1 mais sous un autre angle ! Normal pour un numéro anniversaire.

Action Comics #800 (© DC Comics)

AMAZING SPIDER-MAN #306 par Todd McFarlane. Pour une fois que McFarlane ne rend pas hommage à ses propres couvertures ! Après, c’est normal, il était plutôt au début de sa carrière.

Amazing Spider-Man #306 (© Marvel Comics)

FANTASTIC FOUR #291 par John Byrne. Avant de présider à la destinée de l’homme d’acier, John Byrne lui rendait hommage avec cette couverture, en changeant le sens !

Fantastic Four #291 (© Marvel Comics)

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BO du jour :

4 comments

  • Nikolavitch  

    Un petit retour sur ta remarque à propos du dessin de Shuster par rapport à Caniff. Oui, il n’a pas de formation académique, mais la couve d’Action Comics n°1 démontre déjà une bonne compréhension de la compo, avec le personnage à l’avant-plan qui donne de la profondeur, par exemple.
    Et quand on le compare à Bob Kane, Shuster est supérieur : dessin plus vivant et épuré, compréhension des codes graphiques : la cape de Superman, par exemple, est un ajout en cours de route : les premiers croquis n’en avaient pas. Mais elle permet de donner immédiatement du dynamisme lorsqu’il se déplace, sans avoir besoin de traits de vitesse.

    La BO… tellement logique !

  • JB  

    Merci pour cette analyse !
    Je me suis toujours demandé si l’apparence énervée de Superman, qui semble être une menace, était une private joke faisant référence à The Reign of the Superman, histoire des auteurs datant de 1933 imaginant un premier « Superman » qui était le méchant du récit.
    Sinon, on parle souvent d’un hommage aux pubs pour les hommes forts des cirques comme Louis Cyr et Horace Barré, le « Strongman », que les affiches montraient souvent accomplir des prouesses hors normes (généralement exagérées pour attirer le chaland). Mais je trouve que la couverture iconique où Superman brise des chaînes qui le retiennent est plus représentative de l’hommage à ces affiches.

    • Nikolavitch  

      l’hommage aux strongmen se trouve dès le départ dans le costume, qui est clairement celui d’un hercule de foire. Pour Siegel et Shuster, c’est un moyen d’iconiser directement le personnage, de faire passer le message au premier regard: c’est un costaud

      • JB  

        Pour le costume, nous sommes tout à fait d’accord, mais je suis moins certain pour l’aspect menaçant du protagoniste ou la fuite des autres persos sur la couverture.

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