Focus : la couverture de Uncanny X-Men n°145
Un article de JB VU VANVO : Marvel Comics
VF : LUG

Mutant gothic
© Marvel Comics
Cet article portera sur la couverture de Uncanny X-Men n°145, paru en France dans Special Strange n°37, X-Men Saga n°19 ou encore dans l’Intégrale X-Men de l’année 1981. Il est à noter que la couverture de Dave Cockrum et Josef Rubinstein réalisée pour présenter une histoire de Chris Claremont a été utilisée pour chacune de ces rééditions françaises !
Ce format est un test, n’hésitez pas à nous faire vos retours en commentaire pour le continuer, l’améliorer, voire proposer des couvertures à étudier !
Pour la saison 12 du blog, notre chef bien-aimé a mis au défi la rédaction de se lancer sur de nouveaux formats, en lançant quelques pistes. Bruce a notamment évoqué des analyses de couvertures. Et là, j’ai automatiquement pensé à une image, celle de Special Strange n°37. Pourquoi ? Parce que pour moi comme pour pas mal d’anciens lecteurs de LUG/Semic, c’est l’un des premiers souvenirs de lecture des aventures des X-Men, voire un premier comic book acheté.

Une couverture française quasiment à l’identique
© Marvel Comics
La couverture française est d’autant plus remarquable qu’elle reprend assez fidèlement celle de la VO, Uncanny X-Men n°145, chose assez rare pour les éditions LUG qui proposaient plutôt des réinterprétations peintes par Jean Frisano. Pour Special Strange, c’est le second numéro à reprendre en l’état une couverture américaine après Special Strange n°34, qui utilisait la couverture de Byrne sur le départ de Cyclope.
Ce travail signe également le retour de Dave Cockrum sur l’élaboration des couvertures d’Uncanny X-Men après le départ de John Byrne de la série et une courte transition par Terry Austin et Brent Anderson. Cockrum va rester artiste sur la série une vingtaine de numéros durant, jusqu’à La Saga des Broods durant laquelle il sera remplacé par Paul Smith.
Attaquons donc cette couverture. Tout d’abord, le décor, assez discret. Le lecteur distingue deux arches en arrière-plan, qui permettent par leur emplacement symétrique d’accentuer la position centrale du Docteur Fatalis. Le reste du décor consiste en un escalier et un sol en arrière-plan. C’est surtout l’état de cet espace qui est marquant : un impact au centre de la couverture, un mur partiellement détruit, des débris sur les marches de l’escalier. Le cadre de la scène exprime la violence du combat qui s’est déroulé peu avant. Enfin, les éléments du décor renvoient à un château, ce qui a un double effet : signifier au lecteur que le combat s’est déroulé dans le fief de Fatalis, et donner à la couverture un espace gothique.

Les X-Men, paillassons professionnels
© Marvel Comics
Passons aux héros, assez peu actifs dans cette scène. Nos mutants favoris sont pour la plupart au sol, et semblent inconscients. Une habitude pour les X-Men : sur la couverture de X-Men n°132, on les voit déjà vaincus par le Club des Damnés, avec Shaw balançant une Tornade inerte sur un tas de mutants costumés. 3 numéros plus tard, la couverture du n°135 montre une Phénix Noir géante dressée devant les héros évanouis. Une technique connue pour montrer à quel point l’antagoniste est puissant. Et puis, les X-Men sont un peu comme les chevaliers de bronze, ils doivent se prendre une raclée pendant un ou 2 épisodes avant de trouver comment défaire leur adversaire…
Au centre de l’image, se tient un Docteur Fatalis victorieux. Un pied posé sur la dépouille de Colossus, le membre le plus musclé des X-Men, marque sa dominance sur ses ennemis. Une posture commune pour le souverain de Latvérie : sur la couverture Super-Villain Team-Up n°14, on le voyait déjà prenant la pose, entouré de héros s’agenouillant à ses pieds. Malgré son masque, le personnage semble s’esclaffer alors qu’il porte un toast en direction du lecteur, l’invitant implicitement à fêter cette victoire avec lui.

Le pré-requis pour être un monstre : travailler ses avants-bras
Au bras de Fatalis, gît une Tornade inconsciente, sexualisée par le trait de Cockrum qui met sa poitrine en avant. Cette posture met Tornade dans la position de demoiselle en détresse. La présence du décor médiéval et la présence d’une femme évanouie m’ont fortement rappelé les codes du roman gothique. Genre littéraire né au XVIIIe siècle, le roman gothique suit souvent les mésaventures de l’ héroïne persécutée par une menace humaine ou surnaturelle.
Un exemple concret : dans Le Moine de Matthew Gregory Lewis, le personnage du titre pactise avec le diable pour assouvir ses désirs sexuels pour la jeune héroïne. Les couvertures et frontispices de ces romans montrent régulièrement les demoiselles en proies aux attaques des antagonistes. Au cinéma, l’héritier direct de cette tradition littéraire et picturale est le cinéma d’horreur dont la Hammer se fera le chantre, où l’on voit fréquemment le monstre du film transporter dans ses bras l’héroïne inconsciente.

Le roman gothique en quelques romans
© Robert Laffont
Le Docteur Fatalis devient ainsi la créature diabolique à défaire, et Tornade la femme en détresse à secourir avant de subir un sort pire que la mort. De fait, dans Uncanny X-Men n°145, Fatalis n’est pas insensible aux charmes de la déesse. De plus, pour la neutraliser, le Souverain de Latvérie la réduit à un ornement esthétique, une femme-objet.
Cependant, avec Claremont, une femme n’est jamais aussi forte qu’après s’être relevé d’une défaite (et Tornade va en voir de toutes les couleurs dans ce run, comme l’a montré le chef dans son article sur la Saga des Broods). Si la couverture de ce numéro montre une Ororo vaincue, je pense que Dave Cockrum met en scène cette défaite en préparation de la couverture d’Uncanny X-Men n°147, qui semble faire miroir à celle-ci. On y voit en effet une Tornade déchaînée, en position centrale, dominant physiquement les autres X-Men et surtout Fatalis, qui paraît sur le point de se faire foudroyer.

Que le Grand Pope de Latvérie prenne garde : après avoir été privée de la vue, du toucher, etc., Tornade est parvenue à atteindre le 7e sens.
Un proverbe anglophone affirme qu’on ne peut pas juger un livre d’après sa couverture. L’histoire du numéro sert surtout d’introduction au story arc. Dans les faits, le combat entre le Docteur Fatalis (dont ce rancunier de Byrne révèlera qu’il ne s’agit que d’un double robot) se déroule sur les 2 dernières pages, et le gros des X-Men est vaincu en une case. À un élément près (l’état physique de Tornade), la couverture pourrait servir de page de conclusion au récit. Cependant, le lecteur curieux de voir l’affrontement en sera pour ses frais. Cockrum travaille surtout à attirer l’attention et la curiosité du lecteur, en faisant de Fatalis le monstre à détruire à tout prix.
On notera que la réédition des Uncanny X-Men dans le comic book X-Men Classics / Classic X-Men a donné lieu à la création d’une nouvelle couverture, cette fois par Steve Lightle. Chose amusante, Lightle comme Cockrum ont travaillé sur un autre titre dont les X-Men de Claremont se sont inspirés, la Légion des Super-Héros. Mais cette couverture est bien moins notable que celle d’Uncanny X-Men : une Tornade se relevant est entourée des corps de ses amis alors que le masque grimaçant de Fatalis emplit l’arrière-plan.
Mais la couverture d’Uncanny X-Men n°145 est restée dans les esprits. Une couverture alternative de la série Darth Vader de 2017, qui se déroule juste après la mort de Padmé et la transformation d’Anakin en Darth Vader, utilise la composition de celle d’Uncanny X-Men n°145. On y voit le Seigneur Sith la dépouille de Padmé, son épouse récemment décédée. Juste un retour des choses que le personnage de Star Wars rende hommage à plusieurs de ses inspirations, à savoir Fatalis et le cinéma de genre !

Un air de déjà vu.
© Marvel Comics
BO du jour :
Bravo JB, tu as signé l’exercice de manière enlevée, en parlant de cette cover et du contenu du numéro avec humour et en plaçant la réf culturelle du roman gothique !
A part la reprise avec Darth Vader que tu as montrée, je n’ai trouvé sur le net qu’une autre version avec les FF à la place des X-Men. Je suis surpris car je pensais que cette cover avait davantage été copiée.
Merci pour ta lecture ! Tiens, oui, c’est récent, cette variant cover (Storm n°4, série de 2024).
Hammer time!
J’aime bien le concept, sans jouer aux faux-cul. L’hommage de la couv de Vader est excellent, ce qui me fait suggérer de les inclure , sachant qu’il ya des couvrtures à hommage multiple (Amazing Fantasy 15, Crisis on Infinite Earths 7, Days of Future Past, etc). Et comme j’aime cette couverture marquante je ne peux que saluer le choix pour la première occurence.
Merci ! Je ne vais pas te cacher que la couverture de Crisis n°7 était la suivante dans mon collimateur ^^
C’est potentiellement plein de richesse, cette formule : je me demande bien ce à quoi on va avoir droit… 😉
Personnellement, je crois qu’il y a beaucoup à dire sur la couverture originale de la première édition en recueil du Elektra-Assassin, par Bill Sienkiewicz : rien que l’originalité de la mise en scène des principaux protagonistes, ont est déjà dans du jamais vu, nulle part, auparavant…
Comme je suis (bien) plus vieux que l’auteur de cet article, cette couverture n’est évidemment pas iconique, dans mes souvenirs. Au mieux, elle représente le commencement d’une période de déceptions et d’ennui, à la lecture des avatars des mutants : rien ne sera décidément plus comme avant… D’ailleurs, il y a cette phrase assez révélatrice, sur l’édition Américaine, qui pointe un peu la faiblesse du scénario proposé, en assumant assez clairement une resucée d’un thème déjà bien exploité par l’auteur -et ce tout récemment, encore. Celui-là d’aveux coupable !
Sinon, rapport à la manière dont sont représentés les héros et leur antagoniste, on est quand même là dans le cliché basique de la quasi totalité des productions illustrées (et même « seulement » littéraires) à destination des adolescents (sans compter les films) : la pulpeuse créature en détresse, légèrement vêtue (et ici, Dave Cockrum est très raisonnable) à la merci du gros Jules du moment. Les autres couvertures citées, et plus récentes, peuvent aussi bien s’être inspirées de travaux largement antérieurs : du moindre bouquin de Fantastique, d’Heroic Fantasy, ou même de S.F. des années soixant /soixante-dix, jusqu’aux myriades d’illustrateurs qui en ont fait une spécialité (Frazetta, Corben, Etc…).
Merci pour cette lecture et tes retours.
Oui, en balayant les numéros alentours sur Comicvine, la tendance de montrer les héros et (souvent) les héroïnes des X-Men KO est manifeste !
Mais étonamment, cette couverture ressort souvent dans les discussions, j’ai voulu enquêter et retracer l’origine des tropes de cette couvertures et d’autres du même type (en préparation de cet article, je suis allé jusqu’à la thématique picturale de l’Enlèvement des Sabines, pour tout te dire).
Mama mia : vous êtes des fous du détail qui tue, sur le site !! Bande de perfectionnistes, va !
Dans le niveau de détail, j’ai même manqué de rédiger un comparatif sur les légères différences entre la couv VO et la couv française (ex : la bouche d’Ororo, entrouverte sur l’original et que la colorisation de Special Strange fait paraître fermée)
Ah ben bien sûr qu’on en veut encore des articles comme ça ! Enfin je parle pour moi en tout cas. C’est évident que cette couverture a marqué et marque sans doute encore. Je ne connaissais pas toutes les références gothiques que tu pointes et c’est passionnant, notamment dans ce recueil de romans. Merci.
En ce qui concerne les différences entre la version française et l’originale (c’est en effet très rare que la française reprenne l’américaine), sont-elles de Jean Frisano ? A priori, le dessin a été élargi et quelques détails ajoutés, mais pas plus. Ou alors ils ont eu accès au dessin original ?
La BO : jamais entendu parler, sympa, ça date des années 80 j’imagine ?
C’est la même illustration, je dirais qu’elle a été retouchée par un artiste français pour compléter les éléments masqués dans la VO. La botte de Colossus en bas à gauche est en effet d’une couleur marron peu caractéristique (elle est plutôt rouge dans les comics). C’est ballot, on m’a offert LUG : Les archives après l’écriture de cet article, il faudra que je jette un oeil pour voir si ce numéro spécifique est mentionné
Attaquons donc cette couverture. Tout d’abord, le décor : Ha, il m’a fallu un peu de temps pour bien comprendre la démarche de cette nouvelle rubrique.
Au centre de l’image, se tient un Docteur Fatalis […] sa domination sur ses ennemis […] il porte un toast en direction du lecteur : cette posture et le coup du toast a un effet différent sur moi. Le fait que Doom ait pensé à apporter avec lui une coupe de vin pleine me donne l’impression d’un méchant d’opérette. Que s’est-il passé dans son esprit pour qu’il vienne avec sa bouteille de vin et sa coupe ? Y a-t-il quelqu’un hors champ qui lui a servi son verre ? Pour qui est-il en train de poser ainsi ? Est-ce qu’il n’aurait pas plutôt intérêt à neutraliser définitivement ses ennemis, plutôt que de picoler ?
Tornade la femme en détresse : un autre élément qui ne fait pas sens dans mon esprit. Épisode après épisode, le lecteur a déjà pu constater la puissance d’Ororo (en effet, j’avais commencé la lecture du Special Strange quelques années auparavant) et il ne peut plus l’assimiler à une femme en détresse.
Une analyse fort édifiante qui perme t de voir ce dessin avec des yeux différents, et de bien mesurer à quel point chaque lecteur peut en avoir une vision différente, en tirer un ressenti différent.
Quand une couverture devient un test de Rorschach ^^ Merci pour ta lecture !
Pour moi qui n’aimait pas les peintures de Frisano (pas taper !) cette couverture reste une de mes préférées de l’époque Spécial Strange !
Bouh, un commentaire qui donne un avis allant contre la majorité ! (En vrai, si je garde dans mon cœur certaines couvertures de Frisano, d’autres sont assez oubliables)
Salut JB.
Excellent exercice de style, très bien maitrisé.
Je ne vais rien d’apprendre, depuis le temps que l’on se connait, mais c’est mon premier Special Strange en effet.
Cette cover est puissante et intrigante. Avec le recul je me dis quand même que le contenu n’était pas si accessible que cela.
Je n’avais pas remarqué le côté sexualisé de Ororo, avec la poitrine mise en avant.
Très intéressant les recherches sur la partie gothique.
Les romans gothiques, je ne suis pas allé les chercher loin, j’en ai bouffé en Lettres Modernes pour un mémoire ^^
J’adore ce concept et suis impatient de lire d’autres papiers sur les couvertures de comics.
Quand j’aurai le temps, je pense même à faire un papier sur la pyramide de personnages par Jim Lee au moment de X-Men Genesis.
Sur la cover où Storm s’énerve, je préfère de loin la VF de lug.
J’aime bcp celle-ci à l’inverse de Présence : elle est théâtrale et assez romantique à l’image de Doom. Enivré d’Ego et par son vin, il y a déjà tous les éléments de sa défaite dans le prochain numéro.
Un papier qui nous amène dans des recoins inattendus.
Merci JB.
A tout seigneur tout honneur, il me semble que c’est toi qui a évoqué ce concept lors d’une réunion de fin de saison ^^
Ce spécial strange est mon premier comics . Je ne sais vraiment pas par quel miracle il se trouvait dans l’armoire du salon de mes grands parents, je n’en ai aucune explication. Mais ces Xmen, cette couverture, ça a été le coup de foudre pour moi et pour mon frère. Sans la force de cette couverture, et cette présence inexpliquée, sans doute je ne serai pas le même homme.
L’image de couverture de Romans Terrifiants illustre Phrosine et Mélidore , un opéra pré romantique de Méhul, j’en connais une copie dans le musée de ma ville. Etonnant ce choix pour illustrer des romans gothiques
Merci pour cette précision érudite ! Je découvre cet opéra, l’article Wikipedia propose une autre illustration de la même scène, semble-t-il.