Le gamin qui valait 3 Millars !

 

Kick-ass 3 par Mark Millar et John Romita Jr

Bande aiguisée...

Bande Aiguisée…©Marvel

Cet article portera sur la conclusion de Kick-Ass publié par Millar-World (tousse…) aux Etats-Unis et par les marchands de sandwiches en France…. 

Mark Millar s’en étonne lui-même dans sa postface ! Les 28 épisodes de Kick-Ass lui auront pris 8 ans de sa vie et l’auront mené bien plus loin qu’il ne le croyait.

Deux adaptations cinéma qui ont triomphé et l’ont conforté dans son rôle de Golden Boy des Comics : PDG de Millarworld ( re-tousse), conseiller en cinéma auprès du gouvernement écossais et consultant créatif auprès des studios de la Fox. Mazette !

Et son CV ajoute que Millar est un scénariste majeur de la décennie et qu’au moins 3 de ses oeuvres sont en cours de production pour le cinéma : Nemesis ( ah oui, Nemesis, un vrai chef d’oeuvre…), Superior, Starlight et War Heroes.

Avec un gars aussi auto-satisfait, auteur d’un Kick-ass 2 très moyen, on a tout de suite envie de le passer au peloton le Millar, votre serviteur étant persuadé qu’il est un bon faiseur avec d’indéniables qualités mais qu’il est encore loin de la trempe d’un Gaiman, Moore ou Ennis. Le procès d’intention était déjà prêt et dieu sait que le Millar était attendu au tournant ! Mais, il s’en sort plutôt pas mal avec une pointe de …finesse !

Mais un petit rappel des faits s’impose avant de conclure ! Dave Lizewski est un geek au cerveau bouffé par les Comics. Avec une combinaison de ski achetée sur Internet, il devient le premier Super Héros  réel patrouillant dans les rues de NY sans pouvoirs. Après un entrainement irrésistible pour faire comme Batman, Dave croise le chemin de Mindy / Hit Girl, une gamine de treize ans, véritable Elektra en culotte courte qui décapite et torture tous les vilains qu’elle trouve.

Le troisième opus commence après que Kick-Ass se soit mis à dos la mafia en envoyant le fils du parrain local Chris Genovese / Motherfucker à l’hosto et que Mindy ait été incarcérée. Dave échoue lamentablement à faire évader sa copine, s’engage avec ses copains dans une mini Civil War, tombe amoureux et se désintéresse progressivement de ses activités costumées. Il devra pourtant affronter une dernière fois la famille Genovese…

Prison Break façon Millar

Prison Break façon Millar©Marvel

Ce qui étonne dans les cinq premiers épisodes sur les huit qui concluent cette saga, c’est la presque absence des scènes spectaculaires voire gore qui ont fait la célébrité et la faiblesse de la série. Millar décide de revenir aux fondamentaux du charme de sa mini-série : la comparaison entre le mythe et la réalité de la vie de Super-Héros. La gérance d’une fortune employée à fabriquer des super gadgets, les cartes de visites ( bourrées de fautes d’orthographes), les discours pré-écrits pour sonner façon Batman une fois les vilains à terre.

S’il faut parler du génie de Millar, c’est dans ses séquences que celui-ci intervient : la différence et la déception entre les illusions de grandeur de nos apprentis héros et la déconfiture inévitable aux antipodes des actions garanties de succès de Frank Castle ou de Bruce Wayne.

Irrésistible : Dave se fait filmer façon Bruce Wayne éploré sur la tombe de ses parents…©Marvel

Millar sait également faire évoluer Dave Lizewski ; Kick-Ass n’est plus le loser pathétique du début. Il bénéficie désormais de suffisamment de maturité et d’entrainement pour mener à bien (la plupart de ) ses missions.  Comme Peter Parker, la vie en costume devient la fuite en avant d’une existence qu’il a foutue en l’air : ses amis et son père sont morts à cause de lui. En tombant amoureux et en perdant son pucelage, Dave pense plus à se déshabiller qu’à enfiler sa tenue de ski. Millar fait preuve d’ingéniosité ici en suggérant que le désir de se bastonner décroît au fil des éjaculations de son héros…

Chris Genovese, paralysé pendant de longues semaines suite à l’affrontement du deuxième volet utilise ce temps pour devenir raisonnable. A l’inverse de Bullseye dans Daredevil, le jeune homme immobilisé utilise sa convalescence pour prendre du recul et tenter une rédemption impossible pour toutes les saloperies qu’il a commises. Çà aussi c’était inattendu !

Alors bien sûr on est chez Mark Millar…. Il fait au moins trois fois son auto-promotion en insérant des plans où les héros lisent ses comics. Le personnage d’Hit-Girl est toujours aussi amusant qu’improbable et ne permet pas vraiment à Millar d’aller jusqu’au bout de son histoire.   Chacune de ses apparitions plus spectaculaires, notamment une scène où elle s’entraîne à passer sous un train, éloigne le lecteur de la fable réaliste du départ. Et de voir une fillette en prison ( !) avec une camisole ( !!) prendre le contrôle d’un pénitencier ( !!!) demande au lecteur beaucoup d’indulgence et d’humour.

Ajoutons à celà que Millar ne sait toujours pas écrire ni ses gangsters, plus caricaturaux les uns que les autres, ni ses personnages féminins même si, pour la première fois dans cette série, il dote Valérie, la copine de Kick-Ass, d’un semblant de personnalité. Notre amie est infirmière et avec une distribution dans les soupes populaires, Millar ose même une tentative de discours social aussi maladroit que superficiel.  La Civil War qu’il annonce chichement n’a lieu que sur quelques pages et Millar semble parfois se demander l’histoire qu’il veut raconter.

Une des rares covers de Jr Jr qui sortent un peu du lot

Une des rares covers de Jr Jr qui sorte un peu du lot©Marvel

Côté dessins, les couvertures de Jr Jr ne sont pas très inspirées et ses planches parfois bâclées… La plupart des personnages ont un gros pif et semblent manquer de finitions même si dans la globalité, on ne peut qu’être happé par le savoir faire ès mise en scène du vieux routier de la Marvel.  La série terminée avec une fin un peu plaquée en coda du volume 1,  un sentiment mitigé apparaît. Bon ! Tout ça pour ça ? Encore des explosions ? des décapitations ? des gunshots, des fatalités et une Hit-Girl increvable ? Un matériel écrit pour être adapté immédiatement au cinéma ? Oui ! et ceux qui attendront une fin à la pyrhus iront voir ailleurs….

Mais derrière cette violence régressive un peu neuneu derrière laquelle Millar s’est caché pour vendre du papier, il reste de cette conclusion un étrange plaisir. Celui d’avoir lu en filigrane une histoire sur les étapes du passage à l’âge adulte, ce moment où l’adolescent délaisse ses idoles de jeunesse pour forger sa propre personnalité entre l’oubli des illusions et l’affirmation de soi. Il y a dans les meilleurs moments de Kick-Ass une exploration fascinante de la culture du Super-Héros et de l’influence de cette culture sur le mode de vie de jeunes hommes au même titre que le rock il y a une trentaine d’années.

Le rock étant rentré dans le rang, les idoles de cinéma étant politiquement correctes ( de grands malades comme James Dean, Marlon Brando ou Klaus Kinski ont laissé leur place à des bonnets de nuit chiants et raisonnables comme Georges Clooney, Brad Pitt ou Matt Damon),  religion et  politique renvoyées dos à dos à leurs mensonges et leurs cadavres, la culture du Super-Héros  reste une forme de culture populaire la plus fraîche, stimulante, amusante. Avant que celle-ci ne soit phagocytée justement par la pub, le cinéma et Millar-World ( re-re-tousse, où j’ai mis le numéro du toubib ? ).

Kick-Ass ne décrit ni plus, ni moins qu’un gosse qui vit à fond son rêve avant d’en voir l’envers du décor et de renoncer à ses mythes de jeunesse. Avec plus de finesse, moins d’effets blockbuster et plus de moments comme ceux de ce numéro 3, Millar aurait pu écrire son The Boys ou son Locke and Key… Mais à l’inverse de Garth Ennis qui se fout complètement d’adapter son matériel au cinéma et sait doser comme personne outrance et finesse, Millar aura parfois sacrifié son propos sur l’autel de la facilité et du spectaculaire. Ses dernières pages sont mêmes conçues comme un générique de fin avec séquence bonus comme pour les films Marvel.

Au final son Kick-Ass, devenu icône pop,  est parvenu à surfer entre deux eaux et Millar sauvé de justesse par le gong….et sûrement à coups de pieds au cul…

Allez dîtes au revoir à Mindy....

Allez dîtes au revoir à Mindy….©Marvel

12 comments

  • Présence  

    Damned ! A la fin de la lecture de ton article, je me suis surpris à me dire qu’il fallait que je lise cette série.

    Tu as intégré la propension énervante de Millar à l’auto-promotion, désamorçant ainsi un de mes griefs à son encontre. Tu as également pris en compte sa narration qui anticipe déjà l’adaptation cinématographique. Et malgré cela, cette lecture reste agréable. Non ! Résister, je le dois.

    • Bruce lit  

      Voilà ! Autant Millar m’exaspère au plus haut point, autant il convient d’être juste : Kickass est un superbe divertissement, peut être à mon sens, le travail où Millar s’est le plus impliqué. Et c’est, qu’on le veuille ou non , un futur classique…

  • Patrick McGoohan  

    Si l’idée de départ est le réalisme (un gamin sans pouvoir veut devenir un super héros) Millar n’oublie cependant pas qu’il s’agit un comics de super héros ! Alors certes il n’est pas crédible de voir une gamine de 11 ans éclater des baraques, mais après tout les mecs en slip font ça tous les jours (euh mois) sans que personne ne s’en émeuve… Au final tout en jouant le jeu du comics (le gentil contre le méchant) Millar introduit une touche d’ultra violence et une geek attitude réjouissante…
    Et surtout chapeau à lui de ne pas avoir étirer le concept à l’infini et de ne pas avoir transformé sa série on On-going.
    Le quasi sans faute en somme.

  • Bruce tringale  

    @ N° 6 : C’est le débat depuis le début sur l’habilité ou non de Millar à tirer son épingle du jeu de son pitch de départ. Pour moi Mindy est un sympathique Deux Ex Machina. Au final Kickass est un excellent divertissement avec des scènes irrésistibles, même si plus de profondeurs n’eut pas nuit à l’ensemble.

    • Patrick McGoohan  

      Ah je pense que si les gens veulent voir un film d’action ils ne vont pas voir le dernier Woody Allen :)) et vice versa et vice inverse.
      Moralité a quoi bon reprocher à un auteur de faire ce qu’il sait faire ? The best at what he does comme dit un certain nabot poilu récemment décédé 😉

      • Bruce lit  

        M. 6
        Woody Allen n’a pas le monopole de l’intelligence… Certains films d’action sont quand même très malin….Millar fait du Millar, that’s for sure. Mais d’autres auteurs le font aussi. Et en mieux. Il manque toujours chez Millar, ce petit supplément d’âme. Et en outre, ce Kickass, il est plutôt bien noté non ?

  • Tornado  

    A force de démolir Millar, vous m’avez enlevé l’envie de lire ses nouvelles créations. Je n’ai plus rien pris de lui depuis « Supercrooks » (inclus). 🙁
    Cela dit, je persiste et signe : Je trouve que les lecteurs sont vraiment sévères avec cet auteur qui surnage quand même largement au dessus de la masse.

    • Bruce lit  

      « au dessus de la masse » populaire ? Non j’arrête !!
      Hé quand même Tornado je fais acte de contrition là et je pousse la masse des lecteurs du blog à acheter du Millar ! C’est pas noble ça ? Et puis, je suis pas peu fier de mon titre !
      Bon …par contre la réhabilitation de Bendis attendra….Oops, j’ai dit un gros mot…pardon !

  • Stan FREDO  

    Quant à moi, j’ai avalé les 4 bouquins de la série (il y a un spécial ‘Hit-Girl’), et pratiquement tout le temps via un abonnement auprès du comic shop local. J’ai bien aimé parce que ça, euh, kicks ass de manière le plus souvent intelligente et habile. Cet article de Brucie rend justice à cette série. Je n’ai pas vus les films, en revanche. Mais cela tient à ce que je ne regarde plus les films nouveaux depuis bien longtemps.

  • Brucie  

    Ah, Stan, si on a passé le cap des familiarites, je vais t’appeler Stan Lee !
    Ouf, il semblerait que pour une fois, j’ai tout bon avec M. Millar.

  • Jyrille  

    Ca y est je viens de finir cette troisième partie ! Et je suis soufflé par la qualité de cette chro qui reprend points par points tout ce que j’ai pu ressentir en la lisant. Bon peut-être pas sur les nouveaux acteurs (quoique) mais toute l’analyse esr fantastique ! Merci Bruce, quand vais-je enfin pouvoir écrire avec autant de lucidité que toi ? Quoiqu’il en soit, cela relève le niveau de la seconde partie même si on s’éloigne des débuts. Il me reste à voir le second film…

    • Bruce lit  

      Je ne sais pas si c’est de la lucidité ou de la « chiantise » à chercher la petite bête… Une qualité que tu m’envies et qui ne m’a pas toujours valu des compliments…Spécialement au travail…Mais merci tout de même !

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