Les douze travaux d’Alan Moore (Watchmen)

WATCHMEN par Alan Moore et Dave Gibbons

Première publication le 22/08/14. Mise à jour le 23/08/22 

Un dossier de PRESENCE et TORNADO

VO : DC

VF : Zenda, Delcourt, Panini, Urban

Urban Comics frappe fort !

Urban Comics frappe fort ! ©DC Comics

Lorsque l’éditeur VF Urban Comics a repris le catalogue de l’éditeur US DC Comics, la première œuvre qu’il a publié sous son label a été Watchmen. Evidemment, c’était une sacrée note d’intention puisque, ce faisant, il commençait par ce qu’il est coutume de nommer aujourd’hui rien de moins que le « plus grand comic book de l’Histoire »…

L’article qui suit a été écrit à quatre mains. Nous allons tout d’abord rentrer dans le vif du sujet… C’est-à-dire celui du livre lui-même ! Douze points de vue, douze tableaux. Soit autant de chapitres que Watchmen ! Puis, afin de boucler la boucle sur cette fameuse « Histoire du comic book », nous reviendrons longuement sur la place du chef d’œuvre d’Alan Moore au sein de son medium…

WATCHMEN par PRESENCE

1. Sortie initialement en 1986, Watchmen est une bande dessinée au potentiel de relecture infini. Il y’ a toujours un détail pour reparaître. Ainsi, dès la page 1  on  aperçoit un camion de Pyramid Deliveries qui va sûrement livrer l’un des derniers composants pour le dénouement final.

Vu le camion ?

Vu le camion ? ©DC Comics

2. Watchmen, c’est une bande dessinée policière qui commence par un crime et qui déroule l’enquête de manière ludique et intelligente adapté à ce média visuel. Le Comedian, un ex-superhéros, a été assassiné. Ses anciens compagnons se mettent à la recherche du coupable.

3. Watchmen, c’est une rigueur graphique exceptionnelle. Dave Gibbons réussit à mettre toutes les informations exigées par le scénario dans chaque dessin, sans aucune impression de surcharge visuelle. Il a retenu une trame rigoureuse de 9 cases par page, avec quelques variations qui consistent à fusionner 2 ou 3 cases entre elles. Les dessins sont entièrement au service de l’histoire.

De la rigueur dans le découpage : 9 vignettes par planches !

De la rigueur dans le découpage : 9 vignettes par planches …©DC Comics

4. Watchmen, c’est une structure narrative complexe qui donne l’impression au lecteur d’être intelligent. Moore et Gibbons enchevêtrent l’enquête principale avec des pages de textes illustrées en fin de chacun des 11 premiers chapitres, et avec une bande dessinée dans la bande dessinée.

Cette histoire semble dans un premier temps s’appliquer au coupable et condamner ses actions (comme un signe annonciateur du jugement de valeur final du Docteur Manhattan), et comme un clin d’oeil ironique au choix du prochain sujet de la feuille de choux d’extrême droite.

Des héros fascistes ?

…ou presque ! ©DC Comics

5. Watchmen, c’est un point de vue philosophique sur le sens de l’histoire et la perception de la réalité. À un deuxième niveau, l’histoire du Black Freighter indique que la compréhension et l’interprétation de la réalité dépend de la personne qui la contemple ; chaque individu est limité dans sa capacité à appréhender le monde qui l’entoure.

De la même manière, chacune de nos actions est asservie à notre capacité à comprendre ce qui nous entoure. Et ce développement de l’histoire renvoie à ces moments où les personnages changent de vision sur le monde qui les entoure en contemplant les actions du Comedian. Edward Blake est celui qui dispose de la vision la plus claire du monde qui l’entoure, mais c’est aussi celui qui est le plus incapable d’agir parce que cette absence d’illusions le prive de motivation.

Une mise en abime. Une bande dessinée dans une bande dessinée : Tales of the Black Freighter !

6. Watchmen, c’est une uchronie dans laquelle l’existence d’un seul homme doté de pouvoirs extraordinaires a bouleversé le rapport des pouvoirs des nations. La défense stratégique des États-Unis repose sur ses épaules. Richard Nixon est toujours au pouvoir. Mais la tension monte entre l’Ouest et l’Est et une guerre semble inéluctable et imminente.

7. Watchmen, c’est une analyse psychologique pénétrante et sophistiquée de chacun des principaux personnages. Après le décès du Comedian, chacun se remémore à tour de rôle une de ses rencontres avec lui. Mais il s’avère que ces scènes ne servent pas tant à honorer la mémoire du défunt qu’à mesurer son impact sur chacun des narrateurs et sur l’orientation qu’il va donner à sa vie.

Un super-héros omniscient et un président Nixon qui entame son troisème mandat dans les années 80 : Cela s’appelle une uchronie !

Un super-héros omniscient et un président Nixon qui entame son troisème mandat dans les années 80 : Cela s’appelle une uchronie ! ©DC Comics

8. Watchmen, c’est un univers visuel d’une rigueur et d’une cohérence parfaites. Dave Gibbons et Alan Moore ont travaillé pour rendre chaque élément visuel significatif : les graffiti sur les murs, la récurrence symbolique du smiley taché, les voitures électriques, les logos des entreprises, les affiches publicitaires, jusqu’au design des chaussures portées.

9. Watchmen, c’est des séquences narratives d’une force et d’une intelligence inouïes. Le chapitre consacré à Rorshach est bâti autour de la symétrie du masque. La première page répond à la dernière, la seconde à l’avant dernière, etc.

Des personnages-concept…

Des personnages-concept… ©DC Comics

Dans le chapitre 9, Moore et Gibbons réussissent un tour de force exceptionnel : ils arrivent à faire partager au lecteur le point de vue d’un personnage qui a une perception globale du temps et non linéaire. Et le résultat est convaincant. Cette séquence sur Mars vaut à elle seule 5 étoiles (et même plus).

10. Watchmen, c’est une bande dessinée qui s’est élevée au dessus de son origine (comics de superhéros) pour atteindre le niveau de chef d’oeuvre auquel on ne pourrait reprocher que la place réduite des femmes. Le lecteur fait connaissance avec des personnages singuliers dans le cadre d’une trame policière classique qui sert à interroger les désirs et les motivations de chacun, ainsi que le sens de l’Histoire, tout en possédant une hauteur teneur en divertissement.

…et des concepts de personnages… ©DC Comics

11. Watchmen, c’est une déconstruction exemplaire des conventions du récit de genre « superhéros ». À l’instar des philosophes du 20ème siècle, Alan Moore fait apparaître les postulats acceptés sans question et les contradictions internes (concernant les récits de superhéros), tout en proposant une alternative. Il pointe du doigt les conventions et stéréotypes du genre : problèmes réglés à coups de poing, puissance physique masculine prédominante, loi du plus fort, suprématie d’une vision du monde paternaliste et hétérosexuelle.

Un par un, les superhéros sont confrontés à leurs limites, à l’inadéquation de leur mode d’action. Le cynisme du Comédien ne lui apporte ni bonheur ni paix de l’âme et le conduit à vivre en marge de la société. L’intransigeance de Rorshach l’accule dans une impasse existentielle, au sens propre.

Quelque part entre le détective, le vigilante et le psychopathe : Rorschach… ©DC Comics

Le docteur Manhattan se débarrasse de toute responsabilité en devenant un esprit analytique retiré de l’humanité. Ozymandias a peut-être gagné une bataille, mais pas la guerre. Seul le Hibou semble avoir un avenir, or c’est le seul qui a renoncé à ses modes opératoires de superhéros.

L’idéal héroïque classique est incarné par des individus au système de valeurs sujet à caution, imposant leur volonté par la force, solitaires au point de se couper des individus qu’ils défendent. Le pire représentant de cette engeance est Edward Blake, homme d’action sans remords, ayant abattu une femme enceinte de sang froid, et violeur. Moore condamne sans appel ni ambiguïté cet individu viril, macho et violent. Son cynisme l’a empêché de construire quoi que ce soit, l’a séparé de tous ses compagnons et ne l’a sauvé de rien.

Le comédien : une ordure

Le comédien : une ordure ©DC Comics

À l’opposé d’Edward Blake, il y a l’étrange tandem de Sally et Laurie Juspeczyk, la mère et la fille. La première est alcoolique et toujours sous le charme de son violeur, la deuxième boit, fume, tabasse et vomit, sans oublier ses relations sexuelles de femme libérée.

Pourtant, ce personnage débarrassé des atours romantiques et romanesques de la gente féminine incarne l’alternative intelligente et pertinente au patriarcat. Alan Moore a choisi de construire un personnage complexe, avec des défauts très humains, comme modèle à suivre et il s’agit d’une femme. De la même manière, Moore refuse le simplisme dans la description de la minorité sexuelle lesbienne. Joey et Aline sont également débarrassées des clichés romantiques, dépourvues d’idéalisation, dépeinte sans sensationnalisme ni voyeurisme. L’auteur ne remplace pas un idéal parfait (l’homme viril et puissant), par un autre.

Il montre la réalité dans sa complexité et son pluralisme. Il s’inscrit dans le courant philosophique du postmodernisme (ou philosophie postmoderne, concept différent de celui de postmodernisme artistique). Il fait sienne la remise en question d’une vision universaliste de la réalité, pour mettre en scène une conception pluraliste de la réalité.

Des vies soufflées en une fraction d’atomes…

Moore montre des personnages agissant suivant leurs convictions, issues de leur compréhension incomplète de la réalité (ce qui est le lot de chaque être humain). Au lieu d’imposer une vision unique supplantant les autres, son récit sous-entend que la condition humaine doit s’accommoder de cette pluralité, de cette absence de vision unique et absolue.

Les dessins très descriptifs et un peu uniformisés de Dave Gibbons renforcent cette idée, en mettant chaque individu sur le même plan, avec un traitement graphique similaire, sans favoriser un personnage ou un autre, sans qu’un point de vue ne bénéficie d’une esthétique plus favorable.

12. Watchmen, c’est un héritage impossible à porter pour l’industrie des comics de superhéros. Les maisons d’éditions Marvel et DC ont souhaité tirer les bénéfices de Watchmen et de Dark knight returns, en réitérant les éléments qui ont fait leur succès. Il s’en est suivi une vague de récits plus noirs, avec des superhéros plus névrosés, plus désespérés, et souvent plus sadiques dans leur violence.

Dans le pire des cas, les auteurs maisons (et les lecteurs) ont vu en Rorschach le vrai héros de Watchmen, l’individu qui n’a pas eu de chance à la naissance, et qui applique une justice expéditive et sadique. Dans Watchmen, Walter Korvachs n’a rien d’un modèle à suivre. Il exécute froidement, blesse et handicape à vie ses opposants. Il vit une vie malheureuse et misérable. Son intransigeance le conduit à une forme de suicide, par un tiers. Au mieux, les suiveurs ont vu dans le Comédien une forme de nihilisme adulte et conscient. À nouveau, Edward Blake est une ordure de la pire espèce, violeur sans repentir (il n’hésite pas à revenir auprès de Sally Juspeczyk), meurtrier d’une femme enceinte sans défense.

L'image traumatisante des amants d'Hiroshima

L’image traumatisante des amants d’Hiroshima ©DC Comics

Depuis sa parution en 1986/1987, l’œuvre de Moore et Gibbons a inspiré nombre de créateurs qui n’y ont vu que cynisme et violence, passant à côté de la ligne directrice qu’est la philosophie postmoderne. Watchmen n’est pas l’histoire de cinq ou six superhéros confronté à un niveau de réalité dans lequel les affrontements physiques ne résolvent rien. C’est la déconstruction d’un genre, et la proposition d’une nouvelle façon de regarder le monde.

L’HERITAGE DE WATCHMEN par TORNADO

A présent que mon ami Présence nous a exposé ce qui faisait la richesse de ce monument de la littérature moderne, j’ai envie de revenir un peu à la source… L’univers des super-héros n’est pas, contrairement à ce que l’opinion publique voudrait le faire croire, l’apanage des niais et des geeks régressifs. Pas du tout.

Des personnages comme Superman ou Captain America ont évolué et sont loin d’être ridicules, creux, infantiles ou je ne sais quel autre sobriquet. Oui, le super-héros l’était au commencement, en 1938 (avec le personnage de Superman, justement), tout au moins dans la forme et l’est resté longtemps. Il faut dire qu’il fut créé par deux adolescents à une époque où tout était à faire (Jerry Siegel et Joe Shuster ont 18 ans lorsqu’ils imaginent le personnage de Superman).

Oui, l’univers des super-héros demeurera pendant plusieurs décennies un créneau pour les plus jeunes. Il faut avouer que jusque dans les années 80, il est soumis à un code rigoureux qui ne le destine pas vraiment aux adultes. Pourtant, les auteurs de comics y travaillent : Stan Lee apporte beaucoup de fond à ses créations (des préoccupations existentielles, une parabole sur le racisme, un développement mythologique…).

D’autres le suivent et insufflent un discours politique à leurs histoires (Steve Englehart fait écho au scandale du Watergate avec la série Captain America). A l’époque, quelques comics proposent parallèlement des histoires horrifiques destinées à des lecteurs avertis et entérinent le fait que les super-héros sont réservés aux enfants.

Captain America commence à se poser des questions !

Captain America commence à se poser des questions ! ©Marvel Comics

C’est vrai, la culture « geek » va naitre de ce goût prononcé pour les fascinations régressives de l’enfance: le fantastique, la science fiction, les mondes merveilleux, les monstres, les surhommes. Mais au fait, tout ces concepts n’étaient-ils pas déjà présents dans les mythologies anciennes, si prisées par les amateurs de culture générale ? Si je ne me trompe, les philosophes et les psychanalystes n’ont-ils pas montré dès le départ un intérêt appuyé pour ces notions ?

Néanmoins, certains de ces jeunes lecteurs vont grandir en étant nourris de cette contre-culture, jusqu’à devenir auteurs eux-mêmes. C’est ainsi qu’à l’aube des années 80, des scénaristes et/ou dessinateurs comme Frank Miller ou Alan Moore commencent à s’imposer. Et c’est le choc. Le super-héros devient adulte, complexe, tourmenté, sombre, ambivalent. Et toute une génération de se reconnaitre à travers une flopée d’œuvres fédératrices.

 1982 : Miller's coming ! Plus rien ne sera comme avant !"

1982 : Miller’s coming ! Plus rien ne sera comme avant ! » ©Marvel Comics

A l’arrivée, des personnages comme Superman et Captain America, au départ incontestablement ridicules et propagandistes avec leur costume calqué sur le drapeau américain et leurs valeurs simplistes bourrées de stéréotypes et de bonne morale (quoique la première mouture de Superman, si j’en crois les anecdotes, était bien plus complexe), sont devenus des modèles de support critique.

Et tout ça sans leur enlever leur substance originelle de héros mythologiques. Comme quoi, malgré leur naïveté, ils possédaient dès le départ les racines de leur future rédemption artistique !

Le super-héros fier et américain de l’âge d’or des comics !

Le super-héros fier et américain de l’âge d’or des comics ! ©DC Comics

De nos jours, à travers des scénaristes comme Grant Morrison, Ed Brubaker, Warren Ellis, Garth Ennis, Paul Jenkins, Mark Millar et bien d’autres encore, ils brillent à la lumière d’une ère postmoderne, où les acquis du passé nourrissent l’œuvre gorgée de sens d’auteurs en accord avec leur temps.

Sur un mode dépressif, contrecoup de la gentille innocence du passé, ces archétypes héroïques s’interrogent désormais sur leur place dans le monde, font des erreurs, les assument, se questionnent sur leurs choix, sur la responsabilité qu’implique leur pouvoir, sur leur époque et les valeurs dans lesquelles ils ont été éduqués, sur les répercutions des décisions politiques, etc.

… et le super-héros sombre et torturé du Dark Age !

… et le super-héros sombre et torturé du Dark Age ! ©DC Comics

Aujourd’hui, alors que la richesse de cet univers culturel n’est plus à prouver, le monde des bien-pensants continue toujours à le regarder d’un œil condescendant.

Ce monde n’a-t-il toujours pas compris que les comics se sont émancipés depuis trente ans ? N’a-t-il pas remarqué que certains de leurs auteurs se sont élevés au rang des plus importants de nos sociétés, tout médium confondu ? Ne voit-il pas qu’ils utilisent les super-héros pour proposer la métaphore politique, scientifique et historique qu’ils leur permettent de développer, tout en avançant une réflexion aigue sur le progrès et les dangers de la science, sur les aléas de nos sociétés, sur le culte de la religion et de l’argent, sur la notion de différence, sur le racisme, sur le rapport à la mort, sur les limites du bien et du mal inhérentes à chacun, et que l’on appelle ambivalence de l’âme humaine ?

Début des années 80 et première grande histoire adulte : Un super-héros meurt du cancer

Début des années 80 et première grande histoire adulte : Un super-héros meurt du cancer ! ©Marvel Comics

En bref, moult digressions sur la condition de l’homme que l’on accorde volontiers à la littérature, au cinéma, aux arts plastiques, à la chanson et au théâtre, à la rigueur aux bandes dessinées pour adulte d’Enki Bilal ou d’Art Spiegelman… Mais toujours pas aux comics. Ni aux mangas d’ailleurs ! Je veux croire que ça viendra. Alan Moore avec son chef d’œuvre qu’est Watchmen n’a-t-il pas suffisamment élevé le débat pour qu’il n’en soit pas ainsi ?

N’a-t-il pas démontré que l’on pouvait allier le fond de l’histoire avec sa forme graphique à un tel niveau d’exigence que le médium du comic book permettait le plus haut degré de matière philosophique ? N’a-t-il pas prouvé que, justement, les comics sont devenus un prisme culturel unique et irremplaçable, à l’intérieur duquel se rejoignent à la fois des créations mythologiques aussi riches que celles de l’antiquité, une identité culturelle et une propension au discours universel exceptionnels, ainsi qu’un outil formel d’une richesse inépuisable ? N’a-t-il pas justifié que lorsque le tout se lie avec osmose en une œuvre conceptuelle où la forme et le fond ne sont pas dissociables en une œuvre humaniste qui élève le débat, c’est bien d’art majeur dont il s’agit, n’en déplaise à certains ?

Attention, ne croyons pas que c’est le cas de tout ce qui se trouve sur le marché. Le monde des comics étant majoritairement commercial (au même titre que celui des autres médiums que sont le cinéma, la littérature et la musique), il abonde de créations ineptes. Mais pour le connaisseur, il regorge de trésors. Watchmen est assurément, avec Batman : The Dark Knight Returns, The Sentry et encore beaucoup d’autres, un de ces trésors culturels, au sens MAJEUR du terme.

The Sentry : L’héritage d’Alan Moore au sein des comics mainstream.

The Sentry : L’héritage d’Alan Moore au sein des comics mainstream. ©Marvel Comics

Il y a quelques années, ce médium s’est tellement émancipé que la maison d’éditions DC Comics a créé le label Vertigo, permettant à des auteurs confirmés de développer leurs propres créations. Alan Moore, avec des œuvres comme Saga of Swamp Thing (pourtant une série mainstream qu’il a « juste » relancée) et V pour Vendetta, y fait figure de père spirituel !

En ce qui concerne cet auteur majeur, fréquemment qualifié de génie (!), il aura posé les germes de sa révolution artistique avec des créations originales purement européennes (Les inédits d’Alan Moore), puisqu’il est anglais, avant de plonger au cœur de l’industrie super-héroïque avec Miracleman.

Miracleman : La naissance du Dark Age selon Alan Moore !

Miracleman : La naissance du Dark Age selon Alan Moore ! ©DC Comics

Il poursuivra ce parcours avec nombre d’œuvres majeures, réalisées aux USA. En plus de celles citées ci-dessus, on pourra retenir, en ce qui concerne les super-héros, Batman : The Killing Joke, les séries Top 10, Tom Strong, Promethea, Supreme et La ligue des gentlemen extraordinaires. Pour l’essentiel… Puis, de retour en Angleterre, il abandonnera les super-héros pour un temps afin de se consacrer à une œuvre monumentale sur la légende de Jack l’éventreur : From Hell.

Ce pavé d’une densité inégalée terminera d’élever le comic book au rang de création littéraire majeure et poursuivra la thématique développée dans Watchmen, Moore se servant de sa fiction pour développer une magnifique parabole sur la notion de contexte qui permet de redéfinir, selon les événements, l’époque et la géographie, notre perception de l’espace/temps…

Aujourd’hui, lorsque certaines personnes passent près de moi alors que je suis entrain de lire un comic book avec des super-héros, je me surprends encore à penser : Il doit se dire que je suis un ado attardé. Ce ne serait pas si dérangeant si l’on pensait que les comics étaient, comme en littérature, l’occasion de passer du Seigneur Des Anneaux à Marcel Proust, ou comme au cinéma où l’on pourrait regarder un Star Wars un soir, et un Woody Allen le lendemain.
Mais il n’y a malheureusement pas cette idée d’éclectisme en ce qui concerne l’univers des comics ! De 1938 à 1986 (date de la sortie de Watchmen), il se sera tout de même écoulé près de 50 ans au cours desquels les comics étaient essentiellement destinés aux seuls adolescents. Une longue période visiblement difficile à effacer de l’inconscient collectif…

From Hell : Le mariage ultime entre la bande dessinée et la littérature !

From Hell : Le mariage ultime entre la bande dessinée et la littérature ! ©Delcourt

2009 (presque vingt-cinq ans après la sortie de Watchmen), le réalisateur Zack Snyder en proposera l’adaptation cinématographique officielle. Un projet de très longue haleine, un « developpement-hell » comme disent nos amis américains, qui aura mis à genoux toute une suite de cinéastes prestigieux (Terry Gilliam en tête), qui se seront cassés les dents sur une entreprise démesurée, longtemps jugée impossible, basée sur un matériel littéraire et graphique à priori inadaptable.

De manière surprenante, Snyder réussira son pari en concevant une adaptation d’une fidélité remarquable, propulsant Watchmen – le film au rang des adaptations issues d’un comic book parmi les plus fidèles de l’histoire de son medium.

Paradoxalement, cette transposition cinématographique déplaira aux fans puristes et aux admirateurs les plus acharnés du comic book originel, qui lui reprocheront divers parti-pris artistiques et scénaristiques. Et pourtant, Zack Snyder avait réussi à apporter une pierre à l’édifice du patrimoine geek en sortant de son marasme l’univers du comic book, qui côtoyait soudain le noble 7° art et semblait franchir les frontières ! Toute une génération s’accaparait ainsi le « graphic novel » de Moore & Gibbons, sans pour autant faire partie, au départ, des lecteurs de comics.
Le serpent se mordrait-il la queue ? A force d’être boudés par l’intelligentsia, les lecteurs en question seraient-ils devenus allergiques à toute forme de reconnaissance multimédia ? Vaste débat, qui entérine de ce fait la propension des comics à déchaîner les passions !

Ils ont la classe ! Mais ne plaisent pas à tout le monde

Ils ont la classe ! Mais ne plaisent pas à tout le monde ©DC Comics

50 comments

  • Matt & Maticien  

    Bravo pour cet article. C’était ambitieux de s’attaquer à un commentaire de cette oeuvre fondatrice et je trouve le défi relevé. J’ai pris du plaisir à lire l’analyse soigneuse et maîtrisée de ce récit… et j’ai aussi eu peur car j’ai réalisé tout ce que j’ai survolé lors de ma découverte de ce livre 😉

  • Bruce lit  

    Ouais ! Chapeau les gars ! Ce fut un honneur et parfois un peu angoissant de superviser un article de cette pointure !

    J’aime bcp Présence ta condamnation sans appel du viol de Miss Jupiter. C’est un personnage assez antipathique et le Comédien peut s’avérer être un personnage fascinant. Il n’empêche. Ce que tu écris sur la symétrie aussi ainsi que l’obstination de Rorschach aussi. Il est aussi très facile ado de s’identifier à son sens de l’intégrité. Mais comme tu le mentionnes, c’est aussi une impasse. Le rapport au temps qui passe, l’horloge du Dr Manhatan, celle de l’apocalypse, tout ça est philosophiquement irréprochable.

    Tornado : Voila un manifeste qui m’en rappelle un autre : de la culture geek à la culture tout court ! J’identifie souvent Moore au Bob Dylan des comics. On a beau l’aimer ou le détester, préférer des comics plus légers, moins réalistes, lorsque ce médium est attaqué, traité de sous culture comme le rock a pu l’être, c’est toujours a lui que l’on pense. TOUJOURS.

    Ce qui est assez unique dans Watchmen, c’est une ouverture constante sur le monde des arts, de la littérature, de la science et la politique. J’en ressors lessivé à chaque fois. Goutter à cette histoire, c’est manger le fruit défendu. La moitié des histoires semblent insipides par la suite.
    Lorsque je mets en ligne un article, c’est toujours à Watchmen et son plaisir de lecture que je me réfère pour noter mon commentaire.

    Une anecdote perso ! J’ai terminé Watchmen pour la première fois le 10 septembre 2011. Le lendemain, alors que j’entends à la radio en soirée la chute des tours, mon téléphone sonne au bureau. Une adolescente dont je m’occupais à l’époque m’appelle au secours et m’annonce avoir été violée. Je vous passe le sordide de l’histoire.

    Après avoir fait le nécessaire pour l’aider, en rentrant chez moi et en pensant à ces événements, mon esprit vagabonde et je pense à Watchmen que j’ai fini la veille : le viol, la chute des tours, la paix provisoire qui s’installe à ce moment comme dans la BD après la tuerie de New York, l’héroïsme de voler au secours d’une enfant maltraitée et heureusement non dévorée par les chiens.

    Tout ça crée une caisse de résonance particulière à cet instant qui fait que Watchmen a toujours dépassé pour moi le stade de la lecture aimable.

    Dois je ajouter que ce jour là c’étiat aussi les 20 ans de ma femme ? ….Nostalgia…

  • JP Nguyen  

    Article très bien construit par Présence et Tornade.
    Deux remarques :
    L’existence de comics polars, horreur et romance pendant les années 40-50 n’est elle pas minimisée ?
    Concernant le geek qui rejette la reconnaissance apportée par les nouveaux médias : on ne retrouve pas toujours l’essence d’un personnage sur grand écran. Mon Daredevil est celui de Miller et Janson pas Ben Affleck. Et surtout, BD et cinéma sont des façons différentes de raconter des histoires. Je ne considère pas que l’adaptation ciné soit une consécration.

    • Nicolas  

      Disons juste que les premières adaptations à l’écran large au permis à un plus large public dedécouvrir les ciomics, de démocratiser en quelque sorte un milieu jusque là très fermé.
      Cs adapatations ne sont pas toutes bonnes loin s’en faut mais elles ont le mérite de rendre les super-héros accessible à l’inconscient collectif, sans verser dans la psychologie à outrance.

  • Nicolas  

    Un roman graphique magnifique qui m’abeaucoup marqué quand je l’ai découvert, à 20 ans.
    A cette époque je découvrais également Vertigo et j’y ait gagné en maturité. Sans pouyr autant délaisser les grands crossovers X-Men des années 90.
    Pour synthétiser : Marvel et DC nous donnaient ce que nous voulions. Alan Moore et Karen Berger nous donnaient ce dont nous avions besoin pour évoluer.

    Bruce, ton histoire est terrible à lire, j’éspère que cette petite va bien maintenant. Par rapport à Sally Jupiter, il s’agit d’une tentative de viol, et non d’un viol qualifié puisque Hooded Justice intervient juste à temps pour mettre une raclée au Comédien.

    Présence et Tornado : quel tour de force ! Digne de Watchmen qui vous a tant inspiré !
    C’est un comics que je ne me lasse jamais de relire, jamais.

    • Nicolas  

      Si il y a bien une chose dont j’ai horreur c’est du cliché de la femme violée qui devient une
      super-heroine dans les comics, ou en fiction.
      Le style viol & vengeance, si tu vois de quoi je parle.

      Je pense que Claremont a voulu aborder le thème de l’enfance violée dans ses récits avec Karma
      et Mirage mais comme son cahier des charges lui imposait un style edulcoré, il a été obligé de
      survoler.

    • Présence  

      @Nicolas – J’ai fait l’effort de vérifier et tu as entièrement raison : il s’agit d’une tentative de viol. A chaque fois, la force des images fait que mon esprit y voit un viol dans toute son horreur.

      • Nicolas  

        Oui, Alan Moore et Dave Gibbons font très bien leur travail. L’atrocité de la scène, la sauvagerie de l’agression et le traumatisme de Sally Jupiter sont bien rendus. Le Comédien se conduit comme un animal.

        Le plus fort c’est qu’il aurait pu en rester là quand Sally le griffe et tenter de s’excuser, au moins demander pardon. Mais après cequ’il avait fait le pardon devietn impossible.

        Quelques années après, il vient la voir et lui demander cet impossible pardon, mais Sally ne pouvant plus soutenir sa colère effectivement lui pardonne en un certain sens.

        Grace à eux deux Laurie viendra ua monde, mais tout de meme Sally tentera de protéger Laurie de son père, quell voyait encore comme un salopard. Le Comedien montre sa tristesse car il pensait qu’il avaient mis le passé derrière eux.

        Mais non. Certaine chose ne peuvent s’oublier. Ce qu’il était incapable de comprendre.

        • Présence  

          Edward Blake est incapable de comprendre parce qu’il lui est impossible de se remettre en question. Il n’a pas de regret parce qu’il a fait ce qui était naturel. Dans son esprit, il n’a pas commis de faute au sens moral du terme, un cas avancé de narcissisme.

          • Nicolas  

            Cependant ce qu’il voit sur l’ile secrete d’Ozymandias lui brise le Coeur et le détruit completement ,d’où sa confession à Molocjh dans laquelle il reconnait lesd saloperies qu’il a faite dans sa vie et surtout au Vietnam : tuer et violer des femmes, abattre des enfants, etc..

            La creature d’Ozymandias lui a montré qu’il y a bien pire que lui sur terre.

          • Présence  

            Adrian Veidt n’est pas pire qu’Edward Blake : il a adopté un autre système de valeurs. Avec Watchmen, Alan Moore met en scène la philosophie postmoderne, c’est-à-dire la coexistence de plusieurs systèmes de valeurs qui se valent, ou du moins dont il n’est pas possible d’en déclarer un meilleur ou moins bon que les autres.

            Edward Blake incarne le cynisme : rien n’a d’importance à commencer par mes actions. Cet état d’esprit lui permet d’accomplir ce qu’il veut sans éprouver de remord. Cependant au final, ce mode de vie (dépourvu de valeur) aboutit à un bilan inexistant. Son existence n’a eu aucune importance, il n’a rien construit. Il a compris le projet de Veidt et il sait que ce dernier l’assassinera. Blake est dépassé par l’énormité du projet de Veidt. Ce dernier a entrepris de sauver le monde, toute l’humanité, de transformer l’élan d’autodestruction des civilisations, en élan constructif dirigé contre un ennemi de l’extérieur (construit de toute pièce).

            Blake est anéanti parce qu’il n’a jamais pensé à cette échelle, parce qu’il prend conscience de la folie de Veidt, mais aussi de sa propre insignifiance, de la lâcheté inhérente à son cynisme (ne croire en rien implique qu’il ne sert à rien d’améliorer les choses).

            Cette prise de conscience est d’autant plus ironique que c’est Blake qui a été le déclencheur de ce projet quand il a mis le feu à la carte devant Veidt, lors de la réunion pour créer une nouvelle équipe de superhéros.

  • Manticore  

    Intéressant tour d’horizon de Watchmen.

    Qqs points sur lesquels je ne suis pas trop d’accord: les comics réservés aux adolescents depuis 38, par exemple. Comme les comic strips, ils s’adressaient à tout le monde. Ils n’étaient certes pas sophistiqués, c’étaient les équivalents graphiques du roman populaire. C’est Wertham et sa croisade qui ont définitivement établi l’image de la littérature pour dégénérés, reprise ensuite par les films hollywoodiens, jamais en peine de hurler avec les loups. Les EC Comics étaient déjà très sophistiqués.

    Quant à Zack Snyder et sa retranscription « fidèle »: rangez-moi dans les puristes. Snyder a signé une adaptation superficiellement fidèle, profondément ratée. Du Hibou dont le costume est relooké pour paraître plus beau (le Hibou est un raté, sympathiquen mais un raté; le costume ridicule fait partie de la panoplie) à l’ambiance générale plus positive (l’idée de Watchmen est que les super-héros sont nuisibles par essence — on sort quasiment du film avec l’impression qu’ils ont gagné à la fin; c’est un « Space Cowboys » du costume moulant!).

    Si Terry Gilliam a renoncé après une longue tentative d’adaptation, c’est qu’il a intelligemment perçu qu’une adaptation ciné exigeait de renoncer à tout ce qui faisait la richesse de l’œuvre graphique. Les choses que Moore et Gibbons ont pensées pour tirer parti des possibilités du média, et qui, par définition, ne sont pas répercutables. Et effectivement, le film de Snyder les zappe, ne cherchant pas à leur trouver des équivalents cinéma. Il illustre un illustré, rien de plus. C’est une simple boule de Noël, brillante et jolie… creuse et fragile.

  • tornado  

    Premier point : C’est une discussion –souvent houleuse- que j’ai avec un bon nombre de fans de comics : Les comics sont-ils pour les enfants ou pour les adultes ?
    J’ai lu des comics de l’âge d’or, des comics de l’âge d’argent et des comics du Dark âge. Mon avis le plus convaincu (j’en suis convaincu à un point extrême, en fait), c’est que les comics de super-héros de l’âge d’or sont pour les enfants, et uniquement pensés pour plaire aux enfants. Je sais que cette idée vexe beaucoup de lecteurs fans de oldies, mais c’est ma conviction. Je ne cherche pas à l’imposer, mais je suis désolé, j’en suis profondément convaincu.
    De la même manière, je pense que les comics de super-héros de l’âge d’argent sont réservés aux adolescents et, à partir de Frank Miller et Alan Moore, avec le Dark âge, on commence à toucher aux adultes. C’est ce que je voulais démontrer avec ma partie de l’article sur Watchmen.
    Relire un comicbook de l’âge d’or aujourd’hui me fait toujours le même effet : Impossible de lire ça avec un regard adulte. Il faut, soit régresser, soit le prendre de manière « historique », comme un témoignage de son époque (avec la toile de fond qui va avec et qui offre des résonnances sociales, politiques, etc.). Mais la trame des histoires est vraiment TRES infantile.

    Deuxième point : J’adore les comics horrifiques des EC des années 50 et les anthologies CREEPY & EERIE qui ont suivi. Ce sont des comics naïfs mais beaucoup moins infantiles que ceux réservés aux super-héros. J’en parle furtivement dans le texte plus haut, en faisant remarquer que leur orientation adulte a entériné le fait que les comics de super-héros étaient réservés aux enfants.
    Pourquoi n’en ai-je pas parlé davantage ? Et bien parce que l’article était dévolu à l’évolution des comics de super-héros exclusivement.

    Dernier point : Lorsque l’on dit que Watchmen le film est très fidèle au comicbook, on parle évidemment de trame narrative. Concernant les partis-pris artistiques, il n’est pas fidèle, ce qui est normal étant donné qu’il s’agit d’une adaptation. Je l’ai beaucoup aimé, tout en regrettant bon nombres de choix artistiques (dont les costumes et les scènes de bastons à côté de la plaque). J’en ai écrit un article sur Bruce-lit.
    Dernier détail : Gilliam n’a pas lâché le projet par intelligence, mais parce qu’il n’arrivait pas à imposer sa vision du film aux producteurs. Ce n’est pas du tout la même chose.

  • tornado  

    Pour en revenir à cette idée de comics pour enfants (ou pas), ma proposition pour vulgariser le sujet est la suivante :
    – L’âge d’or : Comics pour enfants.
    – L’âge d’argent : Comics pour adolescent
    – Dark âge : comics pour adultes
    Comparé aux autres medias, celui des comics est le plus jeune. Il a grandi jusqu’à aujourd’hui, en passant par diverses phases : Naissance, enfance, adolescence, âge adulte.
    Certains sont intéressés par ma vision de la chose. d’autres la trouvent débile ! 😀

    Cela ne nous empêche pas de lire et d’aimer les vieux comics. Chacun y trouve ce qu’il veut.
    J’en discutait récemment avec un de mes meilleurs amis, qui est dessinateur professionnel. Il me racontait qu’il adorait offrir de vieux « Strange » à son fils, pour ensuite les lui piquer et regarder les planches de dessin ! Il m’expliquait qu’il préférait les comics avec les couleurs primaires, bien criardes. Qu’il trouvait ça superbe, très pop-art, alors qu’il déteste les comics d’aujourd’hui et leur couleur informatique.
    Encore une fois, chacun vient y trouver ce qu’il veut !

  • Nicolas  

    Une oeuvre magnifique, V for Vendetta. A lire et relire, à redécouvrir sans cesse.

  • Stan FREDO  

    ‘Watchmen’ a déverrouillé plein de choses dans la création de BD, partout dans le monde, et y compris en France (la traduction par Manchette a été un trait de génie de l’éditeur français pour intéresser le mundillo culturel du pays de l’Académie Française à ce livre). C’est en ce sens une œuvre « séminale ».
    Aux USA, dans la période récente, ‘Astro City’, de Kurt Buziek, Brent Eric Anderson et Alex Ross, propose un regard intéressant sur le « super-héroïsme ». Ce n’est pas ‘Watchmen’, mais ça se tient et ça reste très bon dans la durée.
    Plus anciennement, ‘Nexus’ de Mike Baron et Steve Rude est une série indé qui questionne le « super-héroïsme » et le côté messianique des super-héros.

  • Présence  

    Adrian Veidt ne commet pas un crime contre l’humanité : il est convaincu de sauver l’humanité de sa propension à l’autodestruction. Il fait comme tous les autres superhéros, mais à l’échelle de son intelligence. Alan Moore transpose la stratégie des nations des siècles passées : ce qu’il faut pour que le pays se reprenne, c’est une bonne guerre. Tous les citoyens se tournent alors vers un même objectif.

    La BD du Black Freighter s’applique à tous les superhéros (et donc à tous les individus). Le naufragé est persuadé de sauver sa ville d’un ennemi, parce que c’est ainsi qu’il interprète les éléments qu’il perçoit. Veidt est persuadé de sauver le monde, c’est son interprétation. Walter Kovachs est persuadé de faire le bien, d’agir pour le mieux au regard de son propre système de valeurs. Même Edward Blake est convaincu qu’il agit pour le mieux.

    Les seuls à s’en sortir sont Dan Dreiberg et Laurie Juspeczyk parce qu’ils tournent le dos au concept de superhéros. Ils arrêtent de vouloir imposer par la force leur vision de la réalité, aux autres êtres humains. Ils acceptent d’être des individus parmi tant d’autres, dans un monde complexe, protéiforme, ou plusieurs systèmes de valeurs coexistent, sans qu’il soit possible d’un déterminer un meilleur que les autres.

  • FredSpawn  

    Superbe article, vraiment, MOULT info qui sont les bienvenus!!!

    Juste un p’tit truc (sans être provoc!!). Arrêtez d’aller au cinéma voir ces films, car à chaque fois qu’un réalisateur se lance dans une adaptation, c’est pour vous lire par la suite en train de le descendre!! (vous n’aimez pas le film avant même de l’avoir vu!!) Et arrêtez de dire que le cinéma c’est pour la « masse », les « ignorants » ou pour « faire connaître (aux femmes!! mdr) les comics ». Moi je SAVOURE les deux en prenant ce qu’il y a de mieux!!

    Bravo Tornado et Présence!!

    • Bruce lit  

      Bonsoir Fred,
      J’ai dû relire mon intervention et non, je n’ai employé ni le mot « masse », ni « ignorants »… ouf !

      Je maintiens ce que j’ai dit sur les femmes. Voici un univers masculin où les femmes sont souvent stéréotypées. Les films ont l’avantage de viser un autre public que les lecteurs de base, puristes et jamais contents. Donc des enfants et des femmes ! Y a t’il plus de femmes dans les magasins de Comics ? Pas dans les miens et pas bcp. Dans les salles obscures ? oui ! Il n’ y a rien de sexiste dans mes propos.

      Concernant les films Marvel, ils m’ennuient, je n’y trouve pas ce que je cherche. Mais ils ont le mérite d’exister et je ne blâme personne. J’encourage même sur le blog « mes » gars à défendre des truc qui m’emmerdent…Je n’ai aucune raison de descendre des films que je ne vois pas… Je suis ravi que d’autres y trouvent du plaisir, vraiment !

      A plus tard Fred 🙂

  • Manticore  

    Pas convaincu par la « maturité » du genre super-héros. C’est un genre, donc on peut en écrire pour tous les âges, c’est une évidence. Mais un réalisme même relatif est difficile à gérer sur le long terme. J’ai souvenir de cette nouvelle série Fantastic Four où — idée ô combien neuve — l’équipe était ruinée, et la Chose était obligée d’accepter un boulot sur un chantier de construction, et la Femme invisible d’institutrice. Parce que bien sûr, un type à la force herculéenne et à la résistance prodigieuse, et une femme capable de se rendre invisible et de projeter un champ de force impénétrable n’ont que ça, comme resource pour gagner de l’argent. 😀

    Watchmen fonctionne, parce que c’est une œuvre isolée de tout univers BD partagé. Bien qu’il ait pu envisager une suite à l’époque, Alan Moore a également dit: « Je me suis toujours étonné qu’on ait continué à faire du super-héros après. Pour moi, j’avais cloué le couvercle du cercueil. » Il plaisante, bien sûr, en disant ça, mais l’idée qui sous-tend Watchmen, c’est bien que les super-héros sont des initiatives nocives, qui n’apportent rien de bon, même avec les meilleures intentions du monde. S’ils n’ont pas de pouvoirs, ce sont au mieux des neuneus qui jouent au gendarme et au voleur avec d’autres neuneus sans pouvoir. Et si par malheur ils ont des pouvoirs, le monde en est obligatoirement changé.

    Parce que Reed Richards qui va sur la Lune avec sa fusée, ça impacte le monde réel. Et que le super-héros, ça reste une vision simple, voire simpliste, des choses. Le Bien. Le Mal. Et si on s’éloigne trop de ce schéma, on arrive à des trucs comme les trente dernières années de comics où des psychopathes mal rasés se foutent sur la gueule entre eux dans des giclées de sang, avec un coefficient d’imagination en chute libre (les « événements » qui font le pain quotidien des comics reprennent sur le mode grand spectacle des histoires généralement déjà faites, et mieux).

    Plus pour les gosses, indéniablement; mais dire que c’est adulte, c’est sans doute se bercer de douces illusions.

    Quant à Gilliam, non, il n’a pas réuni les sous non plus, mais il disait aussi que ses tentatives d’adaptation avec Charles McKeown butaient toujours sur ce problème que, pour en faire un film, il fallait retirer tout ce qui rendait la bédé intéressante. Snyder l’a prouvé. Son film n’est qu’une surface, sans rien dessous.

  • Présence  

    @Manticore – Je connaissais pas cette citation d’Alan Moore ; elle me plaît bien.

    J’ai l’impression que toute œuvre de fiction nécessite une forme de suspension consentie d’incrédulité du lecteur. Les œuvres de genre en nécessitent vraisemblablement plus que les romans traditionnels, et les superhéros encore plus. Tous ces pauvres gugusses irradiés qui acquièrent des superpouvoirs, ça défie l’entendement. En tant que lecteur, ça ne m’empêche pas d’apprécier ces œuvres de genre qui peuvent allier un haut degré de divertissement, à des thèmes adultes. Comme dans toute production culturelle de masse, il y a plus de produits industriels sans saveur, que d’œuvres d’auteur.

    Kurt Busiek prouve à chaque histoire d’Astro City que le genre superhéros (dans le respect de ses conventions les plus idiotes) peut servir de support à tout type de réflexion.

    En tant que lecteur, bien souvent je préfère lire un comics industriel qui me détendra que me plonger dans une œuvre complexe qui nécessite toute mon attention.

  • JP Nguyen  

    Malgré ses très nombreuses qualités, Watchmen manque pour moi d’une caractéristique très importante dans le genre super héros : le sens de l’émerveillement. Tous les personnages sont antipathiques ou pathétiques. Il n’y en a aucun qui donne vraiment envie de s’identifier à lui. Je salue la virtuosité des auteurs et reconnais sans réserve leur talent mais Watchmen me parle moins que, disons, Dark Knight Returns ou Bon Again. C’est pourquoi je trouve toujours ça bizarre quand il est cité comme le comics de super héros de référence. Watchmen déconstruit le genre plus qu’il ne le sublime.

    • Bruce lit  

      Ce que tu décris JP est la critique principale que Morrison adresse à Alan Moore dans son livre Super Gods. Tout est devenu bassement terre à terre, terriblement déprimant et le merveilleux du super héros a disparu. Lui se vante de faire autrement dans ses comics. Je le trouve de mauvais foi, mais bon, Morrison m’exaspère la plupart du temps…

  • Tornado  

    @Manticore : merci pour la réponse sympa et le soin dans les arguments. Respect.
    Pour autant les vieux comics étaient vraiment aussi bien que les « vieux » lecteurs le prétendent ? Parce que personnellement je les trouve tartes, quand même !
    Comics code ou pas, j’ai vraiment du mal avec le style infantile, les dialogues médiévaux et les bastons neuneus.
    Voilà pourquoi je préfère les comics modernes. Et voilà pourquoi Watchmen et cie ont été une délivrance pour moi.
    @jean-Pascal : je répondrais un peu la même chose. Si l’émerveillement doit rimer avec.la naïveté, c’est impossible pour un lecteur comme moi. Il me faut avoir vraiment peur et il me faut du viscéral. Pas des trucs trop candides.

    • JP Nguyen  

      Je pense qu’il y a un compromis possible entre la naïveté et le réalisme froid.
      Les X-Men de Claremont et Berne, Kingdom Come de Waid et Ross, Daredevil par Miller – Janson etc.

  • Xabaris  

    Belle chronique, beau travail !

    S’il y a une chose que je ne regrette pas, c’est d’avoir connu le film AVANT le roman graphique.
    Cela m’a permis de pleinement apprécié l’adaptation et de voir des choses que les puristes eux, déteste dans le film.

    P.-S. : Dois-je acheter cette édition URBAN COMICS même si je possède déjà la version panini avec la meilleure traductrice qui a jamais travaillé dans l’univers du comics? (A bon entendeur…)

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