La richesse d’une vie

La jeunesse de Picsou par  Don Rosa

1ère publication le 27/12/15- Mise à jour le 26/10/17

Une BD en or

Une BD en or©Glénat

 AUTEUR : JP NGUYEN

VO : Gemstone/Boom! Studios/Fantagraphics

VF : Hachette/Glénat

Cet article parlera de The Life and Times of Scrooge McDuck, par Keno Don Rosa, série en 12 chapitres (plus quelques numéros spéciaux) retraçant la destinée du canard le plus riche du monde.

Ces histoires ont été publiées en kiosque sous le titre « La jeunesse de Picsou » dans Picsou Magazine, puis dans des albums « Les Trésors de Picsou » chez Hachette et plus récemment réédités par Glénat en format librairie.

Un héros de ma jeunesse

Balthazar Picsou (Scrooge McDuck en VO) est un personnage Disney ayant fait son apparition dans une BD de Donald Duck en 1947 : « Christmas on Bear Mountain« . Contrairement à Mickey ou Donald, ayant gagné leur notoriété via les dessins animés, le richissime oncle de Donald est surtout devenu célèbre via les comics écrits et dessinés par son créateur, Carl Barks, auxquels succèderont d’autres auteurs plus ou moins talentueux.

Il y aura même des branches divergentes de la continuité de Picsou, certains auteurs prolongeant le travail de Barks, d’autres opérant des ajouts et des modifications à cet univers. Par exemples, les auteurs italiens utiliseront davantage Flairsou que Gripsou comme milliardaire rival de Picsou, et Romano Scarpa créera Brigitte, soupirante contrariée cherchant désespérément à épouser le vieux grigou. Pour ma part, peu au fait de cette complexité éditoriale, j’ai découvert ses aventures dans le mensuel qui portait son nom ainsi que dans « Donald Magazine » (c’était en fait la version du « Journal de Mickey » éditée pour être vendue en colportage…).

En 1987, à l’occasion d’un numéro spécial 40 ans du personnage, j’étais tombé sur une histoire marquante, illustrée dans un style assez détaillé, se démarquant du reste de la production de l’époque. C’était « Picsou et l’argent liquide« , une histoire où les Rapetou, équipés de pistolets spéciaux (un « zouippeur » et un « désplatcheur », annulant respectivement friction et inertie) dévalisaient le coffre de Picsou en faisant couler son argent. Ce fut mon premier contact avec la narration et le dessin de Keno Don Rosa (c’était seulement sa cinquième histoire publiée). Pour ce numéro anniversaire, le rédactionnel était plus fourni que de coutume et le nom de l’artiste était mentionné. Je notais alors mentalement de suivre cet auteur, mais mes habitudes de lecture allaient progressivement m’éloigner de Donaldville (Duckburg, en VO).

 De 1877 à 1947 : la vie d'un canard légendaire

De 1877 à 1947 : la vie d’un canard légendaire©Glénat

La jeunesse d’un héros

Au début des années 90, Disney donna le feu vert pour un projet consistant à raconter la vie de Picsou, avant qu’il ne rencontre Donald et ses neveux. L’éditeur danois Egmont confia le projet au dessinateur américain Don Rosa, qui avait alors une plusieurs dizaine d’histoires de Picsou à son actif. Grand fan de Carl Barks, Don Rosa entreprit d’établir une sorte de « continuité » basée sur les histoires racontées par Barks, qui ne manquaient pas d’anecdotes sur le passé de Picsou. L’exercice n’était pas des plus aisés car, à l’origine, Barks n’avait pas forcément cherché à construire une biographie cohérente pour Picsou et avait plutôt introduit, au fur et à mesure, des éléments dont il avait eu besoin pour ses scénarios. Don Rosa décida également de constituer une chronologie mélangeant les petites histoires Barksiennes et la Grande Histoire. Ainsi; de 1877 à 1947, Don Rosa va raconter comment Picsou a constitué sa fortune en parcourant le monde et en croisant certains de ses futurs ennemis (les Rapetou, Gripsou) et quelques légendes de l’Ouest (Wyatt Earp, Buffalo Bill, Geronimo, Théodore Roosevelt).

Dans les années 90, c’est dans les salles d’attente de quelque médecin ou dentiste que j’eus l’occasion de lire sporadiquement certains chapitres de cette saga dans les pages de « Picsou Magazine« . Mais, en 1998, dans une maison de la presse, je tombai sur le numéro Hors Série reprenant l’intégralité de la série, que j’achetai compulsivement.

Un long voyage dans les souvenirs de Picsou, qui débute en Ecosse au XIXème siècle…

Un long voyage dans les souvenirs de Picsou, qui débute en Ecosse au XIXème siècle…©Glénat

Un récit épique

L’histoire démarre à Glasgow en 1877, alors que Balthazar Mc Picsou est âgé de 10 ans et tente d’aider sa famille, issue de la noblesse écossaise mais totalement ruinée. Cireur de chaussures (premier travail lui permettant de gagner son sou fétiche) puis vendeur de tourbe, le petit Balthazar apprend les affaires et, sur un signe du destin, décide de partir faire fortune en Amérique. Il devient tour à tour capitaine de bateau sur le Mississipi, cow-boy dans le Montana ou encore éphémère propriétaire d’une mine de cuivre. Devant revenir d’urgence prêter main forte à son clan en Ecosse face aux manigances des Biskerville, il repart ensuite en Australie avant de se rendre au Klondike, où sa recherche d’or se révèle enfin fructueuse et constitue le véritable point de départ de sa colossale fortune. Il retourne alors de nouveau en Ecosse mais ne s’y sent plus chez lui. Après des adieux à ses parents, il emmène ses deux sœurs aux Etats-Unis et s’établit à Donaldville, où il fait construire un immense coffre fort. Voyageant de par le monde pour faire grossir son capital, Picsou perd de vue ses valeurs et sa famille, avec laquelle il finit par se fâcher, ce qui fait de lui un canard richissime mais esseulé, jusqu’à un certain soir de Noël 1947, bouclant la boucle avec le récit initial de Carl Barks.

Au fil de ses aventures, Picsou acquiert un statut légendaire, gagnant des surnoms évocateurs (Furie du Far West, Massacreur du Montana, Terreur du Transvaal etc) et une aura pouvant impressionner des personnages du calibre de Wyatt Earp. Malgré une issue connue dès le départ, Don Rosa arrive à maintenir un certain suspense en faisant connaître à son héros plusieurs revers de fortune avant de filer vers la réussite.

Quand deux légendes se rencontrent…

Quand deux légendes se rencontrent…©Glénat

Un grand sens du détail

Don Rosa n’a vraiment pas ménagé ses efforts pour dessiner cette épopée s’étalant sur sept décennies et douze épisodes. Cet autodidacte du dessin, ingénieur en Génie Civil de formation, a mis toute sa passion dans cette œuvre, qui lui valut l’Eisner Award de la meilleure série en 1995. Outre le colossal travail d’étude pour incorporer des éléments d’histoires Barksiennes (exhumés à partir des 6000 planches produites par « l’oncle Carl »), le côté méticuleux transparaît aussi dans le dessin, qui fourmille de détails. Chaque chapitre s’ouvre sur une grande case où Don Rosa s’est amusé à cacher la dédicace D.U.C.K (Dedicated to Uncle Carl from Keno). Les décors, sans rechercher le réalisme, sont quand même très soignés. Du château écossais du clan McDuck à la ville sans foi ni loi de Dawson, le trait de Don Rosa sait transporter son lecteur.

Les personnages sont, quand à eux, vraiment très expressifs et l’action, parfois délirante, est toujours rendue avec beaucoup de dynamisme. Lorsque Picsou se défend bec et ongles contre des prospecteurs voulant s’accaparer sa mine de cuivre à Anaconda ou lorsqu’il réalise qu’il s’est fait avoir par Gripsou en Afrique du Sud, les planches dégagent une énergie démentielle. A plusieurs occasions, Don Rosa incorpore dans ses cases des éléments humoristiques en arrière plan pour raconter un gag se déroulant en parallèle de l’intrigue principale. Malgré ce foisonnement, la lecture des planches reste fluide et très agréable.

Trahi par Gripsou, Picsou va gagner son surnom de Terreur du Transvaal…

Trahi par Gripsou, Picsou va gagner son surnom de Terreur du Transvaal…©Glénat

Les histoires bis

Si la saga comporte 12 chapitres, Don Rosa aura l’occasion de revenir et d’étoffer certaines époques de la jeunesse de Picsou, ce qui donnera des épisodes « bis », « ter » voire « quarter ». L’éditeur danois Egmont n’était pas forcément intéressé par toutes ces histoires mais le marché français, avec « Picsou Magazine« , représentait un débouché intéressant et c’est en partie grâce à l’éditeur hexagonal Hachette que ces histoires purent voir le jour.

C’est notamment toute la période du Klondike qui se vit ainsi développée, et en particulier la relation entre Picsou et la tenancière du Blackjack saloon à Dawson City : Goldie O’Gilt. Cette dernière est le grand amour déçu de Picsou, et Don Rosa lui accorda un rôle prépondérant après avoir découvert des pages de Barks refusées par l’éditeur où une relation forte entre les deux canards avait été esquissée. Dans l’épisode 8 bis « Hearts of Yukon » et 8 ter « Last Sled to Dawson« , l’évocation de cette idylle contrariée donne des passages avec un vrai impact émotionnel, qui peut paraître surprenant dans une « simple » BD destinée à la jeunesse.

Il faut aussi mentionner l’existence d’un épisode 0 « Of Ducks, Dimes and Destinies » mettant en scène la sorcière Miss Tick, s’évertuant une nouvelle fois à voler le sou fétiche de Picsou dans une histoire impliquant un voyage dans le temps et éclairant astucieusement les conditions d’obtention de la première pièce gagnée par le futur milliardaire.

A nos actes manqués…

A nos actes manqués…©Glénat

Un canard très humain

Don Rosa aura réussi à conjuguer action et émotion dans cette maxi-série, ne se limitant pas à narrer des péripéties et des chasses au trésor. Picsou est montré au départ comme un jeune idéaliste, travailleur honnête, qui s’endurcit au fur et à mesure, au contact des filous et escrocs qui croisent sa route. S’il souhaite faire fortune, c’est initialement pour sortir sa famille du besoin. Lorsque Picsou apprend le décès de sa mère, dans une lettre lue à haute voix par le malfaisant Soapy Slick, Don Rosa donne une note très mélancolique à son récit, qu’il contrebalance aussitôt par une scène d’action pleine de démesure, conséquence de la colère homérique de Picsou. Son hésitation au moment où il fait la découverte d’une pépite d’or géante, son retour raté en Ecosse, où il est accueilli en étranger, la tentation d’amasser encore plus d’argent de manière peu honnête sont autant d’éléments rendant Picsou moins lisse et moins caricatural.

Au terme du récit, il possède une montagne d’argent mais a perdu tous ses proches et n’a plus de raison de vivre. C’est l’arrivée de Donald et de ses neveux, qui lui fera retrouver une famille et l’énergie de repartir à l’aventure en quête de nouvelles richesses. Dans une de ses dernières histoires, publiée en 2004, Don Rosa fera d’ailleurs avouer à Picsou qu’il envie la richesse de Donald, entouré d’une famille à laquelle lui-même a tourné le dos dans sa quête obsessionnelle du profit.

La fin d'une vie de labeur simple…

La fin d’une vie de labeur simple…©Glénat

Des éditions de qualité variable

En VF, il existe plusieurs éditions de cette série, la plus récente étant celle de Glénat, dont les planches ont été recolorisées et qui comporte, entre chaque chapitre, les anecdotes de Don Rosa sur les coulisses de la création de chaque épisode. Toutefois, cette nouvelle colorisation est parfois décriée, pour un rendu plus terne sur certaines scènes et une perte de détails sur des arrières plans monochromes. C’est aussi une édition assez onéreuse. Les deux éditions kiosques (parues en 1997 et 2003) sont moins fournies en contenu rédactionnel mais bénéficient de couleurs plus vives. Elles se trouvent assez facilement en occasion.

En VO, ce n’est pas forcément mieux, plusieurs éditeurs s’étant succédé dans la possession des droits de l’œuvre. Personnellement, j’ai l’édition de Gemstone, avec bonus et belles couleurs, dont le seul défaut serait peut-être sa couverture souple et une reliure peu robuste. Boom! Studios a proposé des Hardcovers assez chouettes mais dont la cote a tendance à augmenter. Une nouvelle édition par Fantagraphics est prévue pour octobre 2015, c’est sans doute une opportunité à saisir pour les lecteurs anglophones recherchant une édition à un prix raisonnable.

Une pépite qui vaut la peine d'être recherchée

Une pépite qui vaut la peine d’être recherchée©Glénat

Une œuvre d’une grande richesse

Le titre français « La jeunesse de Picsou » est un peu réducteur et ne retranscrit pas tout à fait l’aspect épique de cette série. « The Life and Times of Scrooge McDuck » c’est en effet une épopée : la destinée d’un petit écossais opiniâtre, désireux d’aider son clan et devenant l’homme le plus riche du monde, ironiquement au détriment de la famille qu’il avait souhaité aider. L’histoire de Scrooge McDuck fait un peu écho à celle de Michael Corleone dans Le Parrain ou encore à Citizen Kane (en 1947, seul dans son manoir, il murmure un « Goldie » qui a tout du « Rosebud »). Tout en étant principalement un récit d’aventure pour tous publics, plein d’actions et de rebondissements, cette œuvre propose aussi une parabole sur la recherche du succès et de ce qui constitue la réussite d’une vie, joliment racontée avec plein de moments drôles et d’autres poignants.

C’est la légende du personnage de papier, créé par Carl Barks en 1947, revisité et sublimé par un Don Rosa à la fois respectueux et inspiré (et aussi bien conseillé par son rédacteur Byron Erickson). Si vous avez l’occasion de découvrir cette série, pour peu que vous ayez été lecteur du canard dans votre enfance, « La jeunesse de Picsou » vous replongera dans la vôtre, sans avoir l’impression de lire une histoire bêbête. Pendant que vous y êtes, jetez un coup d’œil à toutes les histoires de Don Rosa, ses planches truculentes illustrent des histoires souvent très distrayantes.

En 1987, Picsou avait 40 ans et je découvrais Don Rosa. Aujourd’hui, c’est moi qui suis proche des 40 ans et Don Rosa a arrêté de dessiner (pour des problèmes de santé mais aussi de maigre rémunération de la part de Disney). Mais il nous a laissé des tas d’histoires de Picsou, un trésor précieux, plein de pépites à lire seul ou en famille, pour replonger dans sa jeunesse ou agrémenter celle des nouvelles générations…

Une œuvre aussi riche que son héros

Une œuvre aussi riche que son héros©Glénat

30 comments

  • JP Nguyen  

    Si, si, j’avions vu ta réponse, Matt, mais je n’avais pas grand chose à dire pour rebondir dessus…
    Si ce n’est, mais je crois que je radote, que les BD de Picsou etCie m’ont fourni, en leur temps, mes premières leçons de calembours (pour des noms de personne ou des sigles assez improbables…)

    • Matt  

      Ah…ben…tu me demandais ce que j’aimais d’autre. J’imaginais que tu avais quelque chose à en dire^^
      Certains sigles des castors juniors sont pas mal^^

  • Manu  

    Cette série est un vrai Must-Have! Les détails, l’humanisation des personnages, la continuité des histoires… Et ce style de dessins… Raaah livret!

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