Résistance

Invasion par Pat Mills,  Gerry Finley-Day et collectif

Jingoïsme

Jingoïsme ©Rebellion

VO : Rebellion

VF: /

AUTEUR : PRÉSENCE

Ce tome regroupe les 51 épisodes (entre 3 à 5 pages chacun), initialement parus dans les numéros 1 à 51 de l’hebdomadaire 2000 AD en 1977/1978 (+ 1 épisode inédit paru dans le numéro annuel de 1979).

Il s’agit donc d’une des 4 séries historiques présentes au début de ce magazine légendaire de prépublication anglais. Les 3 autres étaient « Flesh« , « Dan Dare« , et « Harlem Heroes« .

Le concept de la série « Invasion! » a été développé par Pat Mills qui a co-écrit les 5 premiers épisodes, avec Gerry Finley-Day. Ce dernier a écrit quasiment tout le reste des 46, épisodes, à l’exception d’une poignée écrits par Nick Allen, Nick Flynn et Chris Lowder.

En fonction, des dessins sont réalisés par Jesus Blasco, Pat Wright, Sarompas, Ian Kennedy, Mike Dorley, Calros Pino, Eric Bradbury et Luis Collado. Pour être complet, la couverture a été dessinée par Cam Kennedy.

En 1999, l’Angleterre est envahie par l’armée des Volgans, un pays russe. Elle devient un pays occupé, soumis à la loi martiale de l’envahisseur. La famille royale réussit à fuir, et s’exile au Canada. Alors qu’il rentre chez lui, Bill Savage, un camionneur, découvre que sa maison s’est effondrée à cause d’un tir d’obus hasardeux, tuant sa femme et ses enfants. Armé de son fidèle fusil à pompe, il décide de se venger en tuant le plus d’envahisseurs possible, et il rejoint la résistance.

Un volgan est un volgan mort

Un volgan est un volgan mort ©Rebellion

Au cours de ces 260 pages Bill Savage va exterminer un nombre impressionnant de soldats et d’officiels volgans, en menant une guérilla sans relâche. Il libère des prisonniers, il évite des exécutions, il saborde le train qui mène à un camp de travail forcé. Il fait s’échapper des réfugiés à bord d’un avion supersonique, il coule un navire de guerre. Il protège le prince John. Etc. Etc. Etc.

En 1977 paraît le premier numéro de 2000 AD dont les 4 premières séries initiales ont été écrites ou coécrites par Pat Mills (parfois avec l’aide du responsable éditorial). À la date de l’écriture de ce commentaire, ce magazine s’approche de ses 40 ans de publication et du numéro 2000 (aucune renumérotation depuis le début). Ce magazine est entré dans l’histoire des comics anglais, avec l’apparition de Judge Dredd (co-créé par Pat Mills) dans son numéro 2. Plonger dans le présent tome, c’est donc plonger aux racines de ce phénomène éditorial qui a été le support du début de nombreuses séries mémorables (Sláine, ABC Warriors, Nikolai Dante, Strontium Dog, etc.).

Ne pas juger un magazine à sa couverture : le numéro 1 de 2000 AD

Ne pas juger un magazine à sa couverture : le numéro 1 de 2000 AD ©Rebellion

La première chose qui marque le lecteur est le rythme de la narration. La majeure partie des 51 épisodes comprennent 4 ou 5 pages, et en 4 ou 5 pages le scénariste raconte une histoire complète. La première case permet d’exposer l’objectif ou la cible à détruire. Les 2 suivantes montrent où se situe Bill Savage (souvent accompagné du lieutenant Peter Silk, parfois d’un groupe de résistants) et ce qu’il s’apprête à faire. Dès la page 2, les volgans apparaissent et barrent la route à la progression de Savage. Les pages 3 et 4 sont consacrées à l’affrontement avec une action spectaculaire.

Ainsi dans l’épisode 2, Savage a pour objectif de détruire un navire expérimental. Il s’introduit dans une propriété en bord de mer, où il trouve un hors-bord de compétition qu’il s’apprête à emprunter. Surgit son propriétaire, un ancien pilote de compétition, âgé et se déplaçant avec des cannes anglaises. Savage et Silk prennent un canot et posent des mines sur la coque, mais se font repérer. L’ancien pilote arrive avec son hors-bord pour faire diversion alors qu’ils s’enfuient, et meurt dans la collision qui s’en suit.

Tous les moyens sont bons : des volgans écrasés au bulldozer

Tous les moyens sont bons : des volgans écrasés au bulldozer ©Rebellion

Sur les bases posées par Pat Mills, Gerry Finley-Day réalise un abattage impressionnant qui force le respect. Dans ce format très contraint, il renouvelle à chaque fois la nature de la mission, sans aucune répétition tout au long de cette cinquantaine d’épisodes. Certes, le lecteur n’a aucun doute sur le fait que Bill Savage triomphera systématiquement. Par contre, il découvre toujours avec plaisir la stratégie rentre dedans que le héros va adopter. Il n’y a aucun temps mort, aucun atermoiement, ou larmoiement. L’action mène chaque épisode, tambour battant.

Il arrive que quelques épisodes se raccordent pour former une histoire plus longue, mais chaque épisode continue de former un chapitre avec un début et une fin. Les dessinateurs se succèdent sans que le passage de l’un à l’autre ne provoque un hiatus narratif. Tout le tome est en noir & blanc, comme l’étaient ses épisodes lors de leur parution initiale. Chaque page comporte en 4 à 7 cases, où chaque dessin compte. Il n’y a pas de possibilité de narration décompressée. Le lecteur observe que plusieurs des dessinateurs affectionnent les cases aux formes trapézoïdales (par opposition à sagement rectangulaires), ce qui leur permet d’insérer des angles aigus plus agressifs.

Des cases aux contours irréguliers

Des cases aux contours irréguliers ©Rebellion

Chaque dessinateur utilise une approche plutôt réaliste, avec un degré de simplification assez faible dans les personnages, et les vêtements. Les expressions des visages ne sont pas très nuancées. Les décors sont plus ou moins détaillés en fonction des cases. Il s’agit avant tout de dessins fonctionnels, au service de l’intrigue, sans fioritures. Néanmoins un habitué des comics américain de superhéros, remarque que le niveau de détail est légèrement supérieur à l’ordinaire desdits comics, que les actions sont plus réalistes, et les morphologies aussi.

Il s’agit donc avant tout de dessins fonctionnels, sans parti pris esthétique affirmé. Ils sont faciles à lire, même si l’encrage est soutenu (beaucoup de noir sur chaque page). Le format de ce tome est le même que celui d’un comics, alors que le format originel de 2000 AD est légèrement plus grand. La densité de la narration fait que le lecteur se plonge en lecture rapprochée de chaque case, et pourtant la lecture reste fluide, sans devenir pesante. Un lecteur à l’œil exercé remarque que la qualité de la reprographie des planches varie, certains présentant des traits fins impeccables, d’autres souffrant de traits épaissis par des clichés pris à partir d’exemplaires de moindre qualité.

Au détour d'une page, parfois des cases très soignées

Au détour d’une page, parfois des ca ses très soignées ©Rebellion

À l’issue de ces 51 épisodes, le lecteur ressort satisfait d’avoir pu découvrir l’une des séries d’origine remontant au tout début de 2000 AD. L’action ne faiblit jamais et le scénariste réussit le tour de force de ses renouveler à chaque fois et de raconter un récit substantiel dans chaque épisode, (avec quelques personnages mémorables comme Rosa Volgaska, Nessie ou encore le prince John). Les protagonistes échafaudent des stratégies qui se heurtent souvent aux aléas de terrain.

Malgré tout la psychologie des personnages est plus que sommaire ; mais ils se conduisent tous en adultes, et pas comme des enfants ou des adolescents. Gerry Finley-Day a l’art et la manière d’inclure des éléments so british qu’il s’agisse de l’accent des personnages, ou des sites géographiques remarquables, ou encore d’archétypes d’individus anglais.

Le double-deccker, so british

Le double-deccker, so british ©Rebellion

Le lecteur de comics américain établit bien sûr une comparaison avec les récits de guerre Marvel ou DC. Il apprécie que Gerry Finlay-Day n’ait jamais recours au pathos larmoyant ou moralisateur de leur contrepartie américaine. Par contre, ce scénariste utilise à plein le point de départ : l’invasion par un ennemi sur le sol britannique. Bill Savage se bat pour chasser l’envahisseur et rétablir la souveraineté de la nation anglaise. De ce point de vue, l’envahisseur est composé de soldats anonymes, et d’officiers sans pitié vis-à-vis de la population soumise.

Du coup, Bill Savage et ses sbires abattent les soldats ennemis sans états d’âme. On est très loin d’une série comme La grande guerre de Charlie de Pat Mills, ici aucune dimension sociale, pas d’approche de classe (prolétaire / bourgeois), pas d’humanisation des occupants. Gerry Funley-Day exalte le patriotisme de Bill Savage, sans réflexion politique, sans dimension géopolitique. Cela reste avant tout des récits d’aventure sous forme de résistance à l’envahisseur.

Le Concorde, avion supersonique français

Le Concorde, avion supersonique français ©Rebellion

Ce n’est pas tout à fait vrai, car Bill Savage présente quelques particularités. Il s’agit d’un individu issu du prolétariat, sans conviction politique explicite. Il représente le bon sens de l’ouvrier, son pragmatisme, sa capacité de faire les choses, et d’agir de manière concrète. Il dispose d’une incroyable capacité à s’adapter à toutes les situations, et à triompher de tous les périls. Il accorde une amitié bourrue, et il ne se laisse pas intimider par les gradés, ni par les nobles (le prince John). Il préfère agir seul, plutôt que de subir les ordres d’individus qu’il juge moins compétents que lui. Il est assez rétif à l’autorité.

En fonction de l’état d’esprit du lecteur, il verra dans les caractéristiques de ce personnage soit une approche démagogique pour flatter le public cible de ce genre de périodique, soit une conviction politique sous-jacente. Cette dernière consisterait à voir l’ouvrier ou l’honnête travailleur issu des masses laborieuses, comme une forme d’idéal de vie. Par essence, l’ouvrier est travailleur, débrouillard, un peu rebelle, avec un code moral sûr. Il se bat pour sa patrie, tout en conservant son individualité. Il réalise des choses concrètes, sans essayer de s’élever au-dessus de sa condition, sans chercher une autre récompense que celle du devoir accompli.

Des camps de concentration

Des camps de concentration ©Rebellion

Quoi qu’il en soit, c’est un véritable plaisir de se plonger dans ces histoires vives et bourrées d’action, où Bill Savage triomphe de l’envahisseur, faisant valoir son bon droit, par la force et la ruse. Le lecteur peut retrouver ce héros charismatique et bourru dans Taking liberties (disponible en VF, publié par Delcourt, dessiné par Charlie Adlard de Walking Dead), puis dans The guv’nor.

10 comments

  • JP Nguyen  

    Ben voilà un truc que je ne connaissais pas du tout… Faut dire que je ne connais pas grand chose de 2000 AD… Comme de coutume, une analyse limpide de Présence, pour une série m’évoquant, par son dessin noir et blanc et ses récits courts, les petits formats de ma prime jeunesse. Je me suis débarrassé de ces mags il y a fort longtemps et j’ignore ce que donnerait une relecture… Je crains que les intrigues trop simplistes et rapides ne me séduisent plus vraiment (dit le lecteur fuyant aussi les lectures trop cérébrales, et oui, pas facile…)

    • Présence  

      En tant que lecteur insatiable de comics, il était inéluctable que je finisse par m’interroger sur les comics en provenance de Grande Bretagne, ce qui conduit aux comics-strips de type Modesty Blaise, et à 2000 AD. Ce magazine est souvent cité comme ayant vu les débuts de scénaristes comme Grant Morrison, Alan Moore et Garth Ennis. Il abrite également la prépublication d’auteurs comme Pat Mills, John Wagner et Alan Grant. Il voit le développement de talents plus récents comme Ian Edginton et Al Ewing. Il comprend une collection de personnages hauts en couleur, à commencer par Judge Dredd, mais aussi Sláine, Nemesis the warlock, ABC Warriors, Ampney Crucis, Devlin Waugh…

      La lecture de ces séries repose sur une chronologie du futur, établie par les responsables éditoriaux. En particulier les Volgans apparaissent comme ennemis principal dans ABC Warriors. Tout ça pour en arriver à l’article du jour, ouvrage qui m’a fourni l’occasion de satisfaire ma curiosité sur l’origine de ces Volgans, et sur ce à quoi ressemblait une des séries originelles de l’hebdomadaire.

  • Jyrille  

    Merci Présence de nous faire découvrir des récits historiques importants du monde de la bd. Je ne connais pas du tout 2000 AD comme JP et je suis très content de lire une analyse de cet acabit sur un magazine quasi légendaire. Cela dit, même si le propos a l’air adulte, j’ai l’impression que la cible reste les adolescents de l’époque. Y a-t-il une volonté propagandiste dans cette série ou est-ce une prolongation des pulps ?

    • Présence  

      C’est sûr que Gerry Finley-Day caresse le lecteur anglais dans le sens du poil en mettant en avant le patriotisme de Bill Savage. Je ne l’ai pas pris comme de la propagande, car Savage veut avant tout se venger des meurtriers de sa femme et ses enfants, et bouter les envahisseurs hors de son pays. Il n’y a pas de volonté expansionniste ou de regret de l’empire britannique. Donc je pencherais plus pour une prolongation pulps avec une fibre démagogique pour flatter le lecteur anglais dans son appartenance à une nation.

      Ma curiosité m’a poussé à acheter quelques numéros de 2000 AD lors de mon dernier séjour en Angleterre pour savoir à quoi ça ressemble. Cela aboutit à une forme de frustration car chaque numéro comprend un petit bout de 4 séries différentes, pour lesquelles il n’y aura pas forcément de recueil.

  • Présence  

    J’en profite pour remercier Bruce qui donne leur chance à des articles sur des ouvrages particulièrement obscurs.

    • Présence  

      Le tome VF que tu évoques était indisponible depuis des années en VO. Je dois avouer qu’à nouveau j’ai lu un comics (britannique) en VF, à savoir ce tome de Charlie Adlard et Pat Mills. Pour être honnête, il faut aussi que je reconnaisse que je dois à Walking dead d’avoir pu lire ce deuxième tome consacré à Bill Savage. S’il n’avait pas été dessiné par Adlard fort de sa notoriété de dessinateur des zombies de Robert Kirkman, je doute fort qu’il ait connu les honneurs d’une édition en France.

  • Bruce lit  

    @Tornado : à la une demain de BL
    @Présence : C’est moi qui te remercie d’élargir ma culture à un niveau quasi professionnel. Je n’avais jamais entendu parler de 2000 AD avant de m’intéresser à Alan Moore. LA lecture des 3 premiers volumes de Judge Dredd ne m’ayant pas fait grande impression , je n’irais pas plus loin, mais je suis content de découvrir ce pan de l’histoire. Et mettre à la une des articles outsider est une belle récréation pouvant occasionner d’agréables surprises.

    • Présence  

      J’ai l’impression que de nos jours l’offre dépasse la demande en matière de bandes dessinées, tout type confondu. Mais je me demande pourquoi les éditeurs français n’ont pas essayé d’importer les meilleures séries de 2000 AD dans les années 1980 ou 1990. A ma connaissance (incomplète), il n’y a guère que Juge Dredd, Sláine et plus tard les ABC Warrioris qui ont traversé la Manche.

  • Artemus Dada  

    Merci de m’avoir mis le lien, je n’avais pas lu ton article sur cette série.
    Un article, comme souvent roboratif, si je puis dire. [-_ô]

    Te lire m’a incité à mettre sur mon blog un article que j’avais rédigé sur un forum, au sujet du recueil Savage (éditions Delcourt) que tu mentionnes.

    J’y aborde notamment :
    • L’édition française de cette série qui date des années 1980 (dont nous avons parlé suite à ton itw de Pat Mills)
    • De qui s’inspire le « héros » Bill Savage
    • Et je mentionne ce qui a – planche à l’appui – motivé Mills pour écrire cette série : l’exécution de Mme Thatcher SHOCKING !!!!!!!!

    Bref si cela intéresse quelqu’un : [ http://artemusdada.blogspot.fr/2017/06/invasion-bill-savage-pat-mills-co.html%5D, sinon c’est toujours un plaisir de te lire compadre.

Répondre à JP Nguyen Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *