SOFT FANTASY (Bafflerog)

BAFFLEROG LE SORCIER, par Kurt Busiek et David Wenzel

Un article de TORNADO

VO : IDW Publishing

VF : Bulle-Dog / Soleil

En route pour l’aventure.
© IDW Publishing / Bulle Dog

BAFFLEROG LE SORCIER (THE WIZARD’S TALE en VO) est un comic-book publié initialement en 1993 aux USA et en 2001 en France. Le scénario est de Kurt Busiek, tandis que l’illustrateur David Wenzel œuvre sur la totalité de la partie picturale.

Le récit (140 pages en tout) est divisé en trois parties mais l’éditeur français Bulle-Dog a publié l’ensemble en deux tomes, fractionnant ainsi le récit de manière abrupte. L’ensemble forme donc une histoire unique et cet article portera sur les deux tomes intitulés respectivement BAFFLEROG LE SORCIER Tome 1 : LE GRAND VOYAGE et BAFFLEROG LE SORCIER Tome 2 : FACE AUX TENEBRES.

A noter qu’une intégrale a été publiée par l’éditeur Soleil sous le titre consensuel L’HISTOIRE D’UN SORCIER en 2011. Edition rapidement épuisée et très difficile à dénicher aujourd’hui.

Kurt Busiek est un grand scénariste de comics américain, très actif dans le mainstream durant les années 90 et 2000, principalement sur des séries comme THE AVENGERS (AVENGERS FOREVER), UNTOLD TALES OF SPIDER-MAN ou SUPERMAN ACTION COMICS. Il est l’auteur du best-seller MARVELS avec Alex Ross, et c’est lui qui a relancé le personnage de CONAN LE BARBARE pour l’éditeur Dark Horse (article complet ici-même). Par-dessus tout, il est le créateur, avec le dessinateur Brent Anderson et l’illustrateur Alex Ross, de la série culte ASTRO CITY. Mais parfois, il s’intéresse également au domaine de l’Heroic-fantasy (en dehors de Conan) le temps de quelques créations personnelles, comme le magnifique ARROWSMITH ou, plus récemment, THE AUTUMNLANDS. BAFFLEROG LE SORCIER s’inscrit donc dans cette dernière facette de son œuvre.

David Wenzel est un illustrateur de livres pour la jeunesse mais il est surtout l’homme qui a adapté, avec le scénariste Chuck Dixon, LE HOBBIT de JRR Tolkien, sans doute la seule véritable adaptation digne de ce nom d’une œuvre du créateur de la Terre du Milieu sous le medium de la bande-dessinée.

Rentrons à présent dans le détail de l’histoire qui nous intéresse ici :
Bafflerog Rumplewhisker est le descendant d’une illustre lignée de sorciers maléfiques. Oui, vous avez bien entendu : Maléfiques ! Il vit dans son château en compagnie de ses alchimites (de petites créatures magiques ressemblant à des lutins miniatures) et du crapaud Gumpwort, un ancien magicien de lumière transformé ainsi depuis des siècles par l’un des aïeux Rumplewhisker. Bafflerog est l’un des mages noirs du pays de Lune, qui vit dans l’obscurité depuis la victoire des forces du mal, à laquelle son ancêtre a énormément contribué. C’est cette illustre ascendance qui lui a valu l’ultime mission assignée par le Conseil Noir : retrouver le Livre Du Pire, qui assurera la victoire éternelle du mal contre le bien. Mais il y a un problème de taille : Bafflerog, malgré ses origines, est incapable d’exprimer la moindre méchanceté…

Maléfique, lui ???
© IDW Publishing

Kurt Busiek joue sur les contrastes en affublant son héros d’un destin inhabituel puisqu’il s’agit pour lui de renoncer à son héritage maléfique afin de protéger les quelques amis qu’il a appris à aimer au cours de son existence. Un postulat original et riche de possibilités thématiques, qui peut également prêter à rire si on l’aborde sous l’angle de la parodie. D’autant que Bafflerog et ses amis devront, l’espace d’une partie centrale, venir dans notre monde contemporain (au cœur de Manhattan pour être précis) à la recherche du fameux livre aux redoutables pouvoirs, mettant ainsi à l’épreuve leurs capacités d’adaptation.
C’est donc une histoire abordée sous un angle paradoxal, qui traite de la notion de « renoncement », cette dernière ayant été l’apanage de l’œuvre de Tolkien…

Le problème est que le scénariste nous raconte le tout de manière un peu molle, avec un second degré constant qui nous empêche au final de prendre au sérieux cette quête et de nous attacher vraiment à une intrigue factice qui souffre d’un manque d’ambition certain dans le développement de l’histoire.
Les personnages sont charmants et l’ensemble est assez bien raconté dans la forme, mais demeure trop léger et superficiel pour nous emporter réellement. On a connu Kurt Busiek beaucoup plus intéressant et pénétrant sur d’autres créations personnelles.

Bafflerog et ses amis.
© IDW Publishing


Heureusement, les planches de David Wenzel assurent une belle accroche pour le lecteur tout au long de ces 140 pages au parfum de féérie totale. Avec un style immédiatement reconnaissable (ceux qui ont lu son adaptation du HOBBIT retrouveront pleinement les mêmes sensations visuelles), Wenzel illustre le monde de Bafflerog dans une tradition féérique qui renvoie autant à Tolkien qu’aux légendes germaniques ou encore à Walt Disney. L’artiste alterne les pages avec une composante quasi-immuable : Chaque planche disposée à gauche est une illustration pleine-page, celle de droite étant dévolue au découpage séquentiel habituel sous la forme d’une série de vignettes. Ce parti-pris narratif, presque anodin au départ, renforce le plaisir de lecture en offrant au lecteur une superbe série de tableaux iconiques dans la grande tradition de l’illustration et des enluminures.

Au final, BAFFLEROG LE SORCIER est une petite histoire d’Heroic-fantasy conceptuelle, fort sympathique et très joliment illustrée, qui pêche malheureusement par manque de profondeur et d’ambition, pour un résultat trop superficiel pour convaincre dans le fond.
Ayant relu la chose pour la première fois plus de quinze ans après sa découverte, je dois néanmoins avouer que je n’ai pas le cœur à m’en séparer, et que je replongerais quand même avec plaisir, peut-être dans quinze ans encore, dans les très belles images de David Wenzel, auprès du truculent sorcier maléfique le plus gentil de tous les temps…

Des pleines pages, et des pages pleines !
© IDW Publishing

La BO : Janko Nilovic & The Soul Surfers – SAY IT SOFTLY

18 comments

  • Bob Marone  

    Un petit côté Beatrix Potter dans les dessins aussi, non ? C’est très agréable à regarder, mais le côté parodique aurait plutôt tendance à me faire fuir.

    • Tornado  

      Beatrix Potter, connais pas.
      C’est effectivement un récit à prendre au 2nd degré. Une petite friandise. Légère.

      • Bob Marone  

        C’est une autrice et illustratrice de livres pour enfants anglaise, née un pied dans le XIXe et morte au milieu du XXe. Elle dessine des animaux aux caractères anthropomorphes, avec une grande précision (lapins, grenouilles etc.). Il y a aussi un caractère « folk », auquel m’ont aussi fait penser les illustrations que tu as choisi.

    • JB  

      L’artiste a également illustré une adaptation de Bilbo le Hobbit

  • Présence  

    Un Kurt Busiek que je n’ai pas lu. Merci pour cette découverte.

    J’ai beaucoup aimé ton paragraphe sur la carrière de Kurt Busiek : en voyant cette rétrospective, je me suis rappelé à quel cet auteur compte dans mon panthéon personnel.

    Le scénariste nous raconte le tout de manière un peu molle : il me semble que c’est une caractéristique de son écriture qui a déjà été évoquée sur le site. Je viens de finir récemment Astro City, et je dois dire que cette façon de raconter de manière un peu tranquille me plaît vraiment : ça fait partie de sa personnalité.

    Ton article m’a permis de savoir de quoi il s’agit et de me dire que si je veux plus de Busiek, je me mettrai à la recherche d’autres de ses œuvres.

    • Tornado  

      On avait parlé de sa « mollesse » au temps jadis d’Amazon. C’est toi qui m’a convaincu d’insister avec cet auteur. J’ai bien fait de t’écouter car j’ai alors découvert de très bonne choses. Cependant je n’aime pas beaucoup ce qu’il a fait pour Marvel (Avengers et Spiderman). En revanche ce qu’il a fait en creator-own, c’est souvent brillant et certains de ses Superman valent aussi le détour.

  • Matt  

    Oh, un court article de Mr. Tornado.
    Hélas pour ma part, je n’ai jamais été attiré par les trucs de fantasy signés par des auteurs US. Les rares fois ou j’ai tenté, j’ai trouvé ça d’un manque d’originalité affligeant. Genre ils ne savent que copier Tolkien, et basta.

    Même là, on semble en être encore proche. Même si je reconnais que ça semble amusant cette idée du sorcier censé être méchant mais qui n’en est pas capable.
    Et j’avoue que l’idée de les voir se pointer à Manhanttan…franchement, ça vient du fait qu’ils n’ont aucun passé les ricains qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de tout ramener à New York même quand ils font de la fantasy ?
    Oui bon ok je connais le principe du voyage dans le temps mais…là encore, n’est-ce pas symptomatique d’un manque d’inspiration ?

    la dark fantasy type Conan c’est parfois mieux…même si au final ils ne font qu’émuler Robert Howard aussi…
    En tous cas les dessins sont très beaux, ça je ne peux pas dire le contraire^^

    • Tornado  

      Tu n’as pas essayé Arrowsmith ? Pour le coup c’est extrêmement original, magnifique de bout en bout (autant le scénar que le dessin) et trouvable en intégrale (140 pages seulement)… 🙂

      • Matt  

        Ah oui j’avais lu ton article. ça m’était un peu sorti de la tête. Faudrait que j’essaie.

  • Surfer  

    « Ayant relu la chose pour la première fois plus de quinze ans après sa découverte, je dois néanmoins avouer que je n’ai pas le cœur à m’en séparer »

    Il y a des choses que l’on explique pas. J’ai exactement le même problème. J’ai gardé énormément de BDs de mon enfance qui me semblaient géniales à l’époque. Après relecture aujourd’hui, elles n’ont, objectivement, rien d’extraordinaire.
    Cependant, malgré la place qu’elles prennent je n’ai pas le cœur à m’en séparer.

    L’intégrale de ce que tu présentes aujourd’hui est une édition rapidement épuisée et très difficile à dénicher ! Une raison de plus pour que je fasse l’impasse. Les quelques qualités que tu évoques ne méritent pas la débauche d’énergie à vouloir essayer de se la procurer.

    La BO. Très sympa cet instrumental Funky-Soul.👍👍👍. Je ne connaissais pas du tout et tu m’as donné envie d’en connaître plus. Du coup je me suis renseigné sur les musiciens.
    Deux choses à retenir.

    1) Mais oui, mais oui…on fait encore de la bonne musique aujourd’hui !
    2) Il faut peut-être aller chercher cette musique dans les pays de l’EST 😀😀😀.

    Une chose est sûre je vais m’écouter l’album MAZE OF SOUDS en entier et très rapidement.

    • Tornado  

      Tu peux y aller sur MAZE OF SOUNDS. Tout l’album est comme ça. 🙂

  • Eddy Vanleffe  

    Kurt Busiek, fantasy américaines et autres fariboles…

    pendant longtemps (et c’est sans doute l’une des raisons du succès de ce genre), je trouvais que TOUT ce que sortaitent les américains « faisait super héros » du coup je ne me penchais pas trop sur les récits fantasy etc…
    Celui là faisait enfantin avec une ribambelle de créatures magiques et en effet les illustrations dont « livres pour enfant » néanmoins depuis je sais que Kurt Busiek peut sortir des récits très surprenant bien moins claquemuré que l’on peut croire . Arrowsmith est très coté et ce décorum première guerre mondiale très originales, Autumnlands renoue avec un nawak pulp qui permet un récit très coloré et à la patte graphique super agréable.
    J’aime bien Busiek in/out super héros.
    il aime et adapte son écriture au vintage, tant il est amoureux du « classique » et respecte ce genre comme il respecte les autres … c’est sa marotte.
    En cela j’aime son passage sur Avengers, il joue pleinement avec le « sandbox » du titre et se fait plaisir. il aime Kang et il joue avec. il a aussi fait sans doute le meilleur nouveaux titre Marvel 90’s avec ses Thunderbolts…
    bien entendu il brosse une un portrait de l’Amérique façon Norman Rockwell/Kirby dans Astro City et c’est sans doute SON MAGNUM OPUS…

    il y a un pourtant bien deux genres dans lesquels le franco belge domine de la tête et des épaules c’est bien l’héroic Fantasy et plus surprenant le western…
    dans l’héroic fantasy comme le dit Matt, on ne sort pas d’une variation de Tolkien/Howard…
    ce genre bien trop tributaire des effets visuels n’a pu que connaitre son essor que dans a littérature et rapidement des auteurs ont voulu dépasser Conan/Lord of the rings…. notamment Michael Moorcock qui va lui avoir une influence massive ne Europe et engendré une Fantasy plus éloignée du pulp, plus cérébrale, si on allie la pulsion pour les illustration qu’auront les jeux de rôles qui feront des Chroniques de la Lune noire et les Légendes des contrées oubliées les gros leaders d’un genre qui pourra s’épanouir plus tard surtout chez Soleil, toute une gamme de séries originales, pléthorique et dans une moindre mesure plein de sous genre (dark fantasy-celtiq etc… )

  • Jyrille  

    Merci pour la culture Tornado ! Jamais entendu parler de ça. J’ai bien aimé Arrowsmith, acheté à cause de toi, d’occase, par correspondance, mais là je passe forcément. J’ai le Hobbit dont tu parles, le dessin est très agréable, mais à lire, c’était pas très facile, trop verbeu et basé sur le roman de Tolkien. J’essaierai peut-être de les relier (je l’ai en deux tomes je crois, édition France Loisirs, comme mon premier Batman Année Un que j’ai donné à un pote (titre : Vengeance oblige…)).

    La BO : pas mon truc, jamais entendu parler. Ca date de quand ? C’est un groupe de quelle origine / pays ?

    • Tornado  

      Janko Nilovic est un vieux keyboardiste français des 70’s qui s’est acoquiné avec des jeunes pour réaliser cet album. Je trouve le son et le groove très proches de l’album ROME de Danger Mouse.
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Janko_Nilovic

      • Jyrille  

        Merci pour les infos. Je n’ai pas du tout pensé à ROME avec ce titre ! 😀

  • JP Nguyen  

    Je l’ai lu il y a des lustres et… Je ne m’en souviens plus !
    Merci pour la piqûre de rappel !
    C’est ton article sur Arrowsmith qui m’avait décidé à en faire l’acquisition.
    Ici, au vu du bilan que tu en tirés et du fait que le style de dessin me parle moins, je ne me mettrais pas en chasse, mais s’il me repasse dans les mains un jour, pourquoi pas…

  • Bruce lit  

    Le pitch autour du renoncement et du contrepied est amusant, les dessins me semblent assez accessibles, donc je pourrais me laisser tenter à l’occasion. Je trouve cependant la maquette de la couverture assez rédhibitoire.
    Je partage l’avis de Bob Marone autour de Beatrix Potter que j’avais découverte grâce à l’article de Présence : http://www.brucetringale.com/maltraitance/
    Concernant Busiek, j’ai bien aimé son SUPERMAN et quelques ASTRO CITY même si c’est très statique et bavard. Etrange quand même que Urban ne soit pas lancé là-dedans. La série a un grand potentiel, même en show tv. Vous verrez, on finira par y venir.
    La BO : humm, parlons d’autre chose voulez-vous ?

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