Y a-t-il un psychiatre dans la salle ?

Suicide Squad 1 – Trial by fire par John Ostrander & Luke McDonnell

Feu à volonté !

Feu à volonté !© DC Comics

AUTEUR : Présence

VO : DC Comics

VF : Urban

Ce tome est le premier d’une série consacrée au Suicide Squad débutée en 1987. Il comprend le 14 de Secret Origins consacré au Suicide Squad, ainsi que les épisodes 1 à 8 de la série, initialement parus en 1987, tous écrits par John Ostrander et dessinés par Luke McDonnell. Dave Hunt a encré le numéro de Secret Origins. Karl Kesel a encré les épisodes 1 à 3, Bob Lewis les épisodes 4 à 8.

Cette histoire évoque régulièrement les événements de Legends, aux cours desquels le Suicide Squad a accompli sa première mission, en perdant un membre sur le champ de bataille.

Secret Origins 14 – Le président des États-Unis (Ronald Reagan) reçoit dans son bureau Amanda Waller (responsable du service Task Force X) et de Sergeant Steel, son superviseur. Ils lui retracent l’histoire de Task Force X, ainsi que celle de Rick Flag, et de son père. Il est également question du passé d’Amanda Waller et de ses motivations.

Épisodes 1 à 8 – L’Escadron du Suicide est le surnom donné à l’équipe opérationnelle de Task Force. Elle est composée d’individus dotés de superpouvoirs, soit cherchant à expier une partie de leur passé, soit des criminels acceptant d’accomplir des missions à haut risque pour réduire leur peine de prison. Au début l’équipe est dirigée par Amanda Waller, avec le Colonel Rick Flagg comme chef d’opération. Elle comprend Bronze Tiger (Ben Turner), Captain Boomerang (George Hakness), Deadshot (Floyd Lawton), Plastique (Bette Sans Souci), Enchanteress (June Moone), Nemesis (Tm Tresser), et Nightshade (Eve Eden).

En direct dans le bureau ovale (avec Ronald Reagan)

En direct dans le bureau ovale (avec Ronald Reagan) © DC Comics

Au cours de ces 8 épisodes, le Suicide Squad doit démanteler un groupe de terroristes disposant de superpouvoirs, faire face à l’irruption des Female Furies qui viennent récupérer Glorious Godfrey dans la prison Belle Rêve (également leur base d’opérations), mettre fin à la récupération clandestine de criminels de rue par un parti d’extrême droite, libérer une dissidente détenue en URSS, et passer leur évaluation psychologique.

Après Crisis on infinite earths, les responsables éditoriaux relancent plusieurs personnages à neuf. Superman a droit à une version bien pensée et propre sur elle grâce à John Byrne. Wonder Woman bénéficie d’un traitement tout aussi soigné et pur par George Perez. À côté de ça, les lecteurs découvrent la série du Suicide Squad, pas du tout attendue, avec des personnages d’arrière rang, méconnus ou inconnus, un ramassis de criminels et de névrosés prêts à se taper dessus, que leurs chefs envoient au combat en sachant qu’il y aura des pertes en vie humaine des 2 côtés.

Suicide Squad par John Byrne dans Legend

Suicide Squad par John Byrne dans Legend © DC Comics

À la tête de la série, John Ostrander commence par narrer les origines de cette équipe, en remontant jusqu’à la seconde guerre mondiale, avec là aussi des héros méconnus, jusqu’à un groupe bien nommé des Forgotten Heroes (sic). Il prend soin de relier cette origine à quelques éléments historiques comme le maccarthysme ou les violences dans les quartiers défavorisés (et noirs). Il a la main un peu lourde en termes de drame, que ce soit à l’encontre de Rick Flag ou d’Amanda Waller. Le tout produit une impression étrange, assez adulte dans son propos, avec des éléments fantaisistes typiques de l’univers partagé DC, comme cette île aux monstres, ou la Justice Society America (JSA) sommée de révéler les identités secrètes de ses membres.

Ce léger décalage entre le fond et la forme reste présent tout au long des 8 épisodes suivants. Carl Gafford accomplit des prouesses pour s’éloigner des couleurs primaires spécifiques aux superhéros, mais il se trouve parfois limité par la technologie de l’époque. Il ne peut pas non plus atténuer le jaune pétant du T-shirt de Rick Flag, ou les costumes chamarrés des supercriminels (le rouge et le jaune pétants de celui de Deadshot). De la même manière, le dessinateur est bien obligé de dessiner ces costumes tels qu’ils existent jusqu’à leur aspect parfois infantile (toujours celui de Deadshot, ou le chapeau pointu d’Enchanteress, ou le motif de Boomerang sur la tunique de Captain Boomerang, ou encore les ailes diaphanes de Black Orchid).

Attaque terroriste dans un aéroport américain

Attaque terroriste dans un aéroport américain© DC Comics

Au fil des épisodes, le lecteur ressent fortement l’impression que la présentation politique en toile de fond est au mieux condescendante, au pire partiale, avec des relents nauséabonds. L’aventure en URSS montre des dirigeants cyniques et manipulateurs (tout autant que ceux montrés pour les États-Unis qui envoient des repris de justice se faire massacrer), à la tête d’une armée particulièrement incompétente. La première mission se déroule dans un pays fictif appelé Qurac (mélange d’Iran et Iraq), où le gouvernement a créé une équipe de terroristes (appelée Jihad), dont il souhaite vendre les services aux plus offrant. À ce niveau-là, ça dépasse la caricature, pour devenir de la diffamation.

Derrière ces maladresses un peu pesantes, le lecteur découvre un récit bien noir, très différent de la production mensuelle de l’époque. John Ostrander montre des individus névrosés et traumatisés, souffrant de manque d’empathie (Deadshot), d’absence de tout sens moral (Captain Boomerang), de culpabilité du survivant (Amanda Waller, Rick Flag), de troubles sévères de la personnalité (June Moone). La pulsion de mort se manifeste de bien des manières, aboutissant à des comportements suicidaires, et pas seulement parce que les missions sont à haut risque.

Mikhaïl Gorbatchev, sous le portait de Lénine

Mikhaïl Gorbatchev, sous le portait de Lénine © DC Comics

Le principe de la série est assez séduisant, mais très délicat pour trouver un point d’équilibre. Le scénariste doit concevoir comment doser les personnages récurrents (le lecteur les identifie immédiatement et sait qu’ils ne risquent pas de mourir sur le champ de bataille, malgré le titre), et ceux qui peuvent passer l’arme à gauche (sans que cela ne soit trop prévisible). Il est évident dès le départ qu’un personnage comme Plastique (inconnue de tous les lecteurs ou presque) ne manquera pas à grand monde, et que son espérance de vie sera courte. Ce qui fait tout le sel de sa mort est la manière dont elle succombe, et plus encore qui en porte la responsabilité.

Il devient vite évident que John Ostrander articule ses histoires sur le principe de la série Mission : impossible, schéma sur lequel il crée un vrai suspense (même s’il s’agit de personnages récurrents, pour certains). Il s’attache également à donner de l’épaisseur à ces personnages, à la fois par le biais de leur histoire personnelle, mais aussi par le biais de leurs interactions. Enfin, il imagine des récits qui justifient l’intervention de ce commando très spécial, donc qui impliquent soit des criminels sans remords, soit des situations qui ne peuvent pas être réduites à une simple dichotomie bien/mal.

Tir impossible à réussir du premier coup

Tir impossible à réussir du premier coup © DC Comics

De son côté, Luke McDonnell doit également trouver des solutions graphiques pour sortir du moule graphique habituel des superhéros. Il essaye de dessiner des décors réalistes. Mais le degré de simplification reste encore trop important, aboutissant à des pièces sagement rectangulaires, des avions aux proportions bizarres, et des trains qui ressemblent à des modèles réduits. Le lecteur note qu’il accomplit un réel effort pour s’inspirer de références photographiques, afin de représenter des bâtiments vaguement russes, et des façades évoquant les bâtiments de la Nouvelle Orléans.

Avec l’arrivée de Bob Lewis comme encreur, les dessins de Luke Mc Donnell perdent toute prétention de séduction. Les visages sont griffés par des traits secs. Les rondeurs des silhouettes (même féminines) sont cassées par de petits angles. Par cette apparence, ils s’adressent plus à des adultes qu’à des enfants, présentant une vision de l’anatomie peu flatteuse. Ça ne suffit pas toujours à amenuiser le ridicule des costumes de superhéros, en particulier quand l’artiste doit représenter les Female Furies, des créations hautes en couleurs de Jack Kirby. Certes, il fallait bien traiter les conséquences de Legends, mais ça casse l’ambiance noire et pesante.

Amanda Waller n'a pas peur de la confrontation

Amanda Waller n’a pas peur de la confrontation © DC Comics

Par contre, cette approche graphique un peu rêche met parfaitement en valeur le caractère pète-sec d’Amanda Waller, McDonnell faisant l’effort manifeste de ne jamais atténuer sa corpulence (une femme noire, en surcharge pondérale, et chef de ce ramassis de cas, une belle prise de risque pour l’époque).

Ce premier tome des aventures du Suicide Squad datées de 1987 surprend par sa noirceur, surtout comparé aux aventures de Superman et Wonder Woman de la même époque. John Ostrander réussit à captiver le lecteur avec des personnages tous plus insignifiants les uns que les autres dans l’ordre du grand univers partagé DC, avec des missions à la moralité douteuse, et avec des comportements relevant pour la majeure partie de la psychiatrie. Il subsiste reliquats des superhéros sains et bon teint (costumes naïfs, et couleurs criardes), mais la tonalité du récit lui permet de rester captivant toutes ces années après. 5 étoiles malgré les maladresses réelles.

Édition d'Urban Comics

Édition d’Urban Comics © DC Comics

50 comments

  • Matt  

    Tenez une vidéo intéressante sur le film Suicide Squad.

    https://www.youtube.com/watch?v=PzVB88TFpX8

    Je précise que je ne mets pas ce lien pour m’éviter de critiquer moi-même le film, ni pour vous influencer, mais parce que le gars parle aussi de choses intéressante sur ce qui ne va pas dans l’industrie des blockbusters grand public de nos jours. Et aussi une anecdote au début qui montre qu’il vaut mieux ne pas croire tout ce que disent les réal lors d’interviews puisque ceux qui râlent trop sont évincés par Hollywood.

    Je ne savais pas que le film avait été charcuté par la prod mais ça explique en effet que ces films ne ressemblent plus à des films mais à des successions de clips « cool » qui n’ont aucun sens mis bout à bout. Et le plus navrant c’est que ça a du succès.

    • Bruce lit  

      Je Matt (ahahaha) ça dès que mon nouvel emploi du temps me le permet.

  • Eddy Vanleffe  

    Je lis en ce moment le second volume des tomes URBAN de la Suicide Squad, et je dois dire que je ris beaucoup.
    Le scénariste distille au gré de son run, une sorte d’humour parfois noir, parfois monty-pithesque assez déconcertant… le coup de la tarte à la crème, c’est quand même…heu… too much.
    Amanda Waller est un personnage plein de failles mais pourtant d’une puissance inouïe et on se prend d’affection pour Floyd Lawton, Tiger Bronze et même certains techniciens débonnaires et cyniques, finalement désabusés au milieu de tous ces tueurs bras cassés.
    le ton est aussi radicalement politique et inscrit dans son temps vantant l’ouverture à l’Est, parlant de corruption chez les Républicains, et de l’Afrique au détour de quelques pages glaçantes d’un temps où les charniers ne courraient pas les floppys.
    j’aborde normalement ce week end le crossover avec Checkmate et ça promet pas mal d’actions.
    j’ai forcément eu une pensée pour Kaori quand les techniciens tentent de se débarrasser d’un virus informatique et qu’une voix surgit de l’ordinateur « JE SUIS ORACLE. M’ENTENDEZ-VOUS? »
    première apparition d’un personnage repêché par Ostrander et son épouse Kim Yale.

    • JB  

      Amanda Waller, encore humaine à l’époque d’Ostrander, est très loin de la mannequin stupidement manipulatrice des New52 ou de l’ordure sans scrupule de la série Arrow et des films Suicide Squad.

      • Eddy Vanleffe  

        oui totalement
        on pourrait débattre pendant des heures de ça.
        les persos n’étaient pas de porte manteau pour archétype. L’Amanda Waller du départ se goure, a une famille qui la fait chier parfois, regrette, sourit…
        maintenant les fictions sont écrites comme des vieux jeux de rôle avec le nain,l’elfe, le magicien, ils ont une case et ils bougent plus
        c’est pour ça que les personnages passionnent moins…

    • Présence  

      Amanda Waller est un personnage plein de failles mais pourtant d’une puissance inouïe : cette version d’elle m’a beaucoup impressionné et je la considère comme la version définitive, avec son surpoids, ses origines, ses compromissions, sa façon de s’accommoder du fait que la fin justifie les moyens, sa capacité à se faire respecter, une autorité inébranlable conquise de haute lutte. Le face à face avec Batman est peut-être un peu forcé, mais je l’ai encore en mémoire.

      On se prend d’affection pour Floyd Lawton, Tiger Bronze et même… et même George Harkness en ce qui me concerne.

      Je suis Oracle m’entendez-vous: autant dans Suicide Squad je n’ai pas été plus marqué que ça, autant Le tout début de Birds of Prey me reste en mémoire grâce à la caractérisation de Chuck Dixon.

      • Eddy Vanleffe  

        Vous les savez que Birds of Prey est un de mes comics préférés découvert dans ce petit fasicule Semic que je ne jetterai jamais, l’autre épisode était ce fameux ORACLE YEAR ONE d’Ostrander, Yale et Stelfreeze…une pièce maitresse de ma collection de fan de comics

      • Matt  

        Amanda Waller était pour ma part également bien traitée dans le jeu vidéo narratif Batman The Enemy within.
        Clairement pas une enfant de choeur, avec un agenda caché et des méthodes discutables, mais efficace, pragmatique. Plusieurs fois j’ai trouvé qu’elle était plus pertinente que Gordon dans le jeu.
        Mais je me doute que c’est assez facile d’en faire une ordure finie si on ne joue pas bien le jeu d’équilibriste.

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